Changer de cap

Séminaire 2022 à Saint-Etienne

Changer de Cap a fait sa rentrée dès la fin de l’été avec le Séminaire 2022, qui a rassemblé plus de 50 membres du collectif, animateurs d’associations locales ou nationales et initiateurs d’expériences locales porteuses d’alternatives du 26 au 28 août à Saint-Étienne. Ces trois jours ont permis de nombreux et fructueux échanges autour des thématiques chères à Changer de Cap.

D’abord l’épineux dossier de la lutte contre la chasse aux pauvres dans les CAF. Les ateliers ont montré que les effets dramatiques de la dématérialisation et des algorithmes, plus qu’une série de dysfonctionnements, relevaient d’un choix politique. Second thème, la solidarité à mettre en œuvre, dans une situation dont on peut craindre les effets de violence à venir, et la nécessité d’ouvrir des points de résistance et d’alternative avec la création de groupes d’entraide et de syndicats d’habitants, coopérant entre eux. Une large plage a été consacrée également aux expériences de terrain, avec les visites locales et les rencontres du vendredi. Les enjeux de l’alimentation ont été mis en lumière par la conférence gesticulée sur la sécurité sociale de l’alimentation et l’échange qui a suivi.

Table des matières

Saint-Etienne, une terre d'initiatives

S’il est une ville qui fourmille d’idées et d’initiatives en tous genres, c’est bien celle de Saint-Etienne ! Des associations, des acteurs locaux engagés, font vivre et évoluer une métropole ligérienne à la longue histoire ouvrière, dans un esprit de solidarité et de convivialité.

Depuis trois ans, le collectif Changer de Cap se fait le relais d’actions porteuses d’alternatives. Il était donc tout naturel d’ouvrir le séminaire 2022 par des visites et des rencontres avec les acteurs d’expériences locales, que nous vous présentons ci-après. Malheureusement le temps restreint ne nous a pas permis de multiplier les rencontres, mais ce n’est que partie remise !

En soirée, c’est un autre Stéphanois engagé, Mathieu Dalmais, qui a eu la gentillesse de venir nous présenter sa conférence gesticulée sur la Sécurité sociale de l’alimentation. « De la fourche à la fourchette… Non ! L’inverse » peut être visionnée sur YouTube.

Nous vous invitons à découvrir les associations rencontrées par les participants au séminaire, au travers des articles que nous leur consacrons :

  • La coopérative De la Ferme au Quartier, en première ligne sur les circuits courts et la défense de l’agriculture paysanne
  • Le supermarché coopératif La Fourmilière, où les habitants se réapproprient leur consommation et créent du lien
  • Ocivélo, l’association des usagers du vélo qui propose également des ateliers d’autoréparation
  • Le Collectif Solidarité alimentaire, une initiative remarquable où plusieurs acteurs locaux se regroupent pour permettre à chacun, et quels que soient ses moyens, de se nourrir correctement
  • Halte au contrôle numérique, un collectif qui sensibilise la population et interpelle les pouvoirs publics sur les enjeux du tout-numérique, contrôle social compris !
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A table à la Tablée !

Durant le séminaire, la cantine de quartier La Tablée est en quelque sorte devenue “notre cantine”. Tous les participants y ont partagé des repas conviviaux, accompagnés des bénévoles stéphanois, mais aussi de ceux qui ont eu la gentillesse de venir animer nos soirées : Mathieu Dalmais, et le samedi soir, les musiciens Bernard et Hélène, qui nous ont offert un surprenant concert de didjeridoo. Le samedi également, un délicieux couscous végétarien nous avait été concocté par des adhérentes de l’association stéphanoise Terrain d’Entente. 

Mais qu’est-ce, au juste, que La Tablée ?  A deux pas de la Place du Peuple, le coeur battant de Saint-Etienne, La Tablée et une cantine de quartier, ouverte à tout le monde, pour cuisiner ensemble et partager un moment convivial autour du repas. C’est un lieu de rencontre et d’échange qui permet de créer des liens et de proximité entre personnes du quartier. On y cultive à la fois la solidarité, le bien manger et la mixité sociale. Pour que tous puissent s’asseoir à la même table, bobos et bourses plates, on y expérimente une alimentation locale et durable, a prix libre. La règle est de faire attention à l’un et à l’autre..

Les repas ont lieu quatre fois par semaine, les mercredi, jeudi, vendredi et samedi. Il n’y a pas de cuisinier professionnel, on ne vient pas pour mettre les pieds sous la table mais pour mettre la main à la pâte. Tout ici est participatif : le repas et sa préparation, la confection des menus, le rangement et le ménage. Cela fait partie de la vie et de l’atmosphère du lieu.

Entre zones de non droit et numérique, que faire face à la maltraitance institutionnelle des CAF ?

L’après-midi consacré aux pratiques immorales et illégales des CAF, dans un contexte de déploiement du tout-numérique et d’une baisse permanente des coûts, a été dense et studieux. Il a débuté par une présentation des constats (malheureux) de Changer de Cap, avant que trois ateliers se réunissent. Si vous suivez le travail du collectif depuis la fin de l’année 2021, vous êtes au courant des actions menées. Le cas échéant, ou si vous avez raté quelques épisodes, vous pouvez consulter le dossier dédié à cette (vaste) problématique sur ce site, et télécharger la présentation en diapositives commentées.

L'atelier entraide et appui aux allocataires

Céline, en introduction, a évoqué la détresse d’allocataires qui se retrouvent coincés à la fois financièrement par les interruptions, suspensions de prestations ou les remboursements d’indus, et administrativement par les problématiques de démarches, juridiques, etc. Des Stéphanoises qui ont rejoint la réunion ont bien souligné que « face à la CAF, on ne peut pas s’en sortir seul ». De leur côté, les accompagnants se trouvent rapidement submergés par la demande, comme mentionné par Georges. La question des médiateurs de la CAF a été évoquée, avec quelques initiatives efficaces comme les référents RSA dans le Rhône ou le CCAS de Mulhouse, mais d’une manière générale, cette question des médiateurs institutionnels est compliquée à résoudre.

Vers la création d’un forum

Au sein de Changer de Cap, l’accompagnement individuel est impossible. Un principe qui nous est cher a été posé rapidement : celui de l’auto organisation des allocataires pour qu’ils ne soient pas des victimes, mais aussi des actrices et des acteurs de leur défense, dans une perspective de gain et d’émancipation. Le projet principal est la création d’un forum ouvert aux allocataires, aux associations, à des experts, etc., afin que chacun puisse poser ses questions et apporter des réponses. L’idée de l’envoi d’un courrier aux principales associations pour qu’elles le rejoignent a été validée. L’intérêt sera aussi d’obtenir un effet de masse, qui permettra d’une part de répondre plus aisément aux questions, d’autre part de peser dans l’interpellation.

L’expérience de Mulhouse montre qu’il est possible de régler collectivement et localement les choses. Un collectif d’associations a fixé des rendez-vous trimestriels avec Pôle Emploi. La Ville s’est engagée pour obtenir un dispositif similaire avec la CAF. Des rendez-vous militants se tiennent également chaque premier mardi du mois devant la CAF pour alerter sur la situation et dialoguer avec les allocataires.

S’unir pour mieux se défendre

Le problème des allocataires avec les CAF ne doit pas être une série de questions individuelles mais une question qui appartient à tous : le principe de l’accès aux droits et des valeurs que nous défendons. Les salariés sont également en souffrance, une alliance doit être réfléchie qui englobe ces droits. Salariés et usagers devraient pouvoir s’allier face à un système qui nous est imposé. Toujours autour de ce terme d’alliance, le rapport avec la direction des CAF intègre des possibilités de dialogue avec des administrateurs, des syndicats…

L’idée principale est donc de ne pas isoler l’allocataire dans une défense individuelle de son droit, qu’il doit bien sûr faire valoir.

L'atelier sur les questions juridiques et politiques

Un atelier particulièrement animé : le travail sera prolongé par une nouvelle réunion du groupe par Zoom. Il constitue donc le point de départ d’un nouveau groupe juridique et politique, ouvert à tous ceux qui le souhaitent.

Le travail antérieur du collectif débouche sur 8 propositions en réponse à une situation inacceptable, qui ont fait l’objet d’un dialogue :

  1. Donner priorité au conseil et à l’accompagnement par rapport aux contrôles, changer de point de vue (conseils en amont, accès effectif de chacun à un conseil de proximité et à un dialogue avec des agents de la CAF formés…). Le débat s’est engagé sur la reconstruction du rôle des agents des CAF, sur le rôle des travailleurs sociaux et celui des bénévoles.
  2. Une obligation légale d’accessibilité de tous les allocataires aux services publics avec l’ouverture d’antennes décentralisées des CAF tenues par des agents formés.
  3. Donner un accès automatique aux droits dès lors que les critères sont remplis. La base automatique remplace la base déclarative. En complément, nous proposons un non remboursement des trop-perçus lorsque ceux-ci résultent d’une erreur de la CAF. Cela va de pair avec l’individualisation des aides et une redéfinition de ce que l’on fait rentrer dans les « ressources ».
  4. Sortir de l’illégalité des pratiques et des contrôles: suspensions préventives des prestations, non-respect du reste à vivre…
  5. Instaurer une transparence de la réglementation par la publication des circulaires internes, lettres réseaux, etc., qui servent à calculer les aides. Chacun doit connaître la règle du jeu.
  6. Mettre en place une amélioration concertée des applications informatiques (cf procédures de rattrapage des erreurs).
  7. Instaurer un pouvoir d’inspection de la CNAF vis-à-vis des CAF et le compléter par un médiateur indépendant au niveau national et une personne dans chaque département chargée de régler les problèmes rapidement et de manière non juridique
  8. Que la prochaine convention d’objectifs intègre l’ensemble de ces principes et consacre un changement de perspectives en cessant de considérer les allocataires comme des coûts et en revenant à leur mission première de solidarité.

Le débat a largement porté sur la médiation, mais les médiateurs ne suffisent pas. Il est nécessaire de créer un rapport de forces.

La dimension éthique a été abordée : contacter l’ANAS, mettre en place un comité d’éthique…

Les discours sous-jacents et la position constante de la droite de refus de solidarité envers les pauvres, étrangers en particulier, exige la construction d’un contre-discours qui doit revenir aux principes fondateurs.

Concernant la stratégie, la question des alliances a également été abordées dans le cadre de la renégociation de la convention d’objectifs, qui ne doit pas apparaître comme une simple question technique.

La convention d'objectifs, kézako ?

La CNAF et les ministères concernés (Budget, Solidarités) négocient et signent tous les cinq ans une convention d’objectifs et de gestion pour orienter le le fonctionnement des CAF. La dernière convention, couvrant 2017-2022, a vu une inflexion très forte. Elle a consacré la priorité absolue à la baisse des coûts sur tous les domaines et une politique du chiffre (objectifs de fraudes par exemple) qui se répercute sur chaque CAF, sur chaque agent… et bien évidemment sur les allocataires. 

La prochaine convention doit entrer en vigueur en 2023. C’est dans ce cadre, et alors que les négociations vont s’engager, que Changer de Cap a émis des propositions pour Remettre l’humain et le droit au coeur de l’action des CAF. Il nous faut maintenant, tous ensemble, les relayer et les défendre. 

L'atelier pour un autre numérique, à l'écoute du terrain

Le groupe de travail est parti de constats communs, dont la place considérable du numérique et la non-question de son utilité. La seule question qui se pose est : le numérique est au service de qui et de quoi ? Les reproches, aujourd’hui, portent effectivement sur la manière dont le numérique est utilisé, en particulier dans les services publics et dans le cadre de l’Etat : l’informatique n’a pas à tendance à simplifier les tâches, il faut donc sortir de cette pensée. Même s’il est question de trouver des réponses techniques, le problème est tout autant politique, social et économique

Quelques points-clés sont ressortis, qui rejoignent les autres ateliers et qui demanderaient un travail collectif :

  • Démystifier le vocabulaire lorsque l’on parle d’informatique (algorithmes, intelligence artificielle…). Au départ, on est toujours face à des hommes et à des idées.  
  • Le souci de la surveillance, qui permet une montée de l’autoritarisme des Etats. Il existe une concomitance entre cette évolution politique et les moyens qui la permettent.
  • Le besoin de formation, de tous et en particulier des agents des services publics. Pour ces derniers, l’indépendance dans la prise de décision est aussi primordiale, vis-à-vis notamment des outils numériques développés par des sociétés privées. Ce point rejoint celui de la précarisation (contractualisation) des emplois dans la fonction publique.
  • La nécessité d’un débat démocratique sur ce que l’on fait des technologies aujourd’hui et sur la problématique de la destruction de la nature par la production des outils.
  • Concernant les CAF, elles doivent revoir la manière dont elles s’adressent aux usagers, en priorisant le respect des personnes et de leur dignité.

Il apparaît nécessaire de se réapproprier la machine, au-delà des interfaces où l’on rentre ces informations et de faire en sorte que l’outil informatique et les logiciels ne soient pas uniquement la propriété d’entreprises privées.

De même, la nécessité d’identifier des champs dans lesquels peut être utilisé le numérique et dans lesquels il ne doit pas l’être fait partie des propositions.

Les machines doivent intégrer la complexité des personnes humaines, et non l’inverse.

Une remarque de Serge : nous ne pouvons pas tous nous approprier les systèmes informatiques comme on le ferait avec des outils classiques. Il est donc indispensable que les services publics garantissent des facilitateurs, et ce dès l’accueil dans ces services. L’humanisation de l’information délivrée est une revendication forte

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Place à la discussion générale...

Les 101 Caisses d’allocations familiales départementales, avec la Caisse nationale d’allocations familiales, constituent la branche famille de la Sécurité sociale. Les prestations versées – une vingtaine au total – sont extrêmement diversifiées, mais aussi complexifiées dans leurs attributions (soumises à conditions de ressources ou non, quelles ressources…). Les CAF rassemblent 13,8 millions de ménages allocataires, plus de 50 millions personnes, et ont versé en 2021 84 milliards d’euros de prestations (chiffre CNAF). Cela donne une idée de la complexité à laquelle nous sommes confrontés.

 Volonté politique, budget de la sécurité sociale et de sa branche famille

Les problèmes rencontrés avec les CAF ne relèvent pas d’un dysfonctionnement, mais bien d’une volonté politique qui amène à la soumission de l’homme (usager ou agent) à la machine. Dès lors qu’il s’agit d’une question politique, une première suggestion est que la nouvelle convention d’objectifs fasse l’objet d’un débat au parlement. A plus forte raison avec le début de l’examen du projet de budget de la Sécurité sociale, où le débat porte en réalité sur les masses financières. La volonté de remettre en perspectives la répartition selon nos principes communs devrait être défendue par certains parlementaires et nous devrions faire un travail d’interpellation publique sur cette question.

Se mettre sous l’autorité des principes, mais quels principes, quels aspect concrets ? Le budget de la sécurité sociale est une remise en cause même de ses principes. Doit-il être confié aux parlementaires ou au contraire décorrélé du parlement ?

Peu de personnes savent qu’une partie du budget de la sécurité sociale est passé dans le budget de l’Etat, alors que c’est interdit. Il semble nécessaire d’amener à la démocratie des usagers, des agents…

Cette question de vote du budget rejoint en réalité celle des algorithmes / outils informatiques : individuellement, nous n’en avons pas la maîtrise, mais collectivement nous ne devons pas nous dire « on n’y arrivera pas ». La sécurité sociale d’origine était un commun au niveau national, une ressource liée au travail, et une gestion sociale, par des salariés eux-mêmes (2/3 des représentants au conseil d’administration). La grande défaite de 1995 a été la mise en place de l’étatisation de la sécurité sociale et le vote par le parlement de son budget. Réclamer un débat au parlement, c’est aussi s’éloigner complètement de ce commun né en 1947.

Nous constatons effectivement la volonté délibérée de mise en déséquilibre du budget de la sécurité sociale. Nous ne sommes pas seulement devant un problème budgétaire ou technique, mais bien devant des choix politiques, sur fond de discours sur les « assistés ». Le combat reste idéologique et réaffirmer un certain nombre de principes est nécessaire, sans se noyer dans les débats techniques.

Mettre la Convention d’objectifs dans le débat public

Il nous faut trouver le moyen de mettre en débat dans la société la question de la Convention d’objectifs. Si on ne le fait pas, cela restera une négociation technique qui passera sous les radars. Un travail d’interpellation des syndicats, des organisations d’usagers…, qui sont dans les conseils d’administration des CAF, doit être mené au niveau national. Ceux-ci participent à négociation de la convention, avant décisions entre la direction de la CNAF et les ministres. Entretemps, rien n’empêche un débat parlementaire, seul cadre possible pour que la Convention entre au parlement.

Mais l’enjeu pour Changer de Cap est surtout d’en faire un sujet politique au niveau de la société. L’aspect politique et juridique doit en outre être lié à une mobilisation populaire. Cette stratégie peut par exemple être développée avec des actions symboliques sur des thèmes précis comme le respect du reste à vivre.

Changer de cap, changer de société, quel positionnement politique pour le collectif ?

L'introduction de Laurent, vice-président de Changer de Cap

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Nous avons décidé d’axer principalement notre séminaire sur l’approfondissement de deux chantiers que nous avons déjà ouverts. Mais nous n’ignorons pas la situation politique générale dans laquelle nous agissons et qui comporte, par certains aspects, des tournures nouvelles que nous voulons mettre en débat ce soir. Cette introduction que je présente au nom du collectif d’animation de changer de cap, s’appuie sur nos débats contradictoires. Elle a juste vocation à ouvrir le débat.

Nous pensons que nous vivons la période d’accélération des crises. Crises économique, institutionnelle, écologique, financière, démocratique… On pourrait multiplier les adjectifs sauf s’il s’agissait de caractériser une crise des revenus des plus riches.

La planète d’abord. La catastrophe climatique est maintenant une réalité, et plus seulement une perspective. Elle est concrète avec la canicule, les incendies, les inondations, la multiplication de réfugiés climatiques… La catastrophe se conjugue avec les menaces pandémiques et sanitaires récurrentes liées, avec la recherche capitaliste du profit maximum dans le temps le plus court, aux atteintes à la nature et aux zoonoses, aux manipulations, à la malbouffe, aux pollutions.

C’est peu de dire que le gouvernement français n’est pas à la hauteur. Alors qu’une enquête récente annonce que le patrimoine financier des 63 milliardaires français émet autant de gaz à effet de serre que celui de 50 % des ménages français, Macron inverse les contraintes qui ne sont pas elles-mêmes des solutions. Extinction du wifi la nuit, baisse de 1 à 2 degrés du chauffage dans les appartements l’ hiver, de la clim pendant les vacances et en parallèle Bruno Lemaire s’est quant à lui obstiné à refuser de taxer les superprofits des majors fossiles, alors que même l’Espagne, l’Italie ou le Royaume-Uni ont instauré une taxe temporaire sur les profits des pétroliers. Macron déjuge son ministre des Transports sur la régulation des jets privés, la ristourne sur la taxe sur les carburants ou sur le gaz alimente avec nos impôts les superprofits des multinationales. Alors que c’est notre avenir à tous et à nos enfants qui est en jeu, même les mesurettes sont refusées car ce gouvernement soutient un séparatisme des riches d’avec la société.

Concernant la société, c’est la guerre aux pauvres qui continue. On l’a bien vu sur le sujet des CAF. Mais il nous semble que le pire est à venir si nous ne réagissons pas. À court terme, la reprise de l’inflation sans augmentation équivalente des salaires est un nouvel épisode de l’appauvrissement des plus pauvres et des classes moyennes. Alors que les profits du CAC 40 atteignent des records (160 milliards en 2021). Il devrait en découler une nouvelle explosion de la précarité. L’Insee indique 4 millions de bénéficiaires de l’aide alimentaire en France. Vincent Destival, délégué général du Secours catholique, déclare que ce sont 8 millions de Français qui en auraient besoin. La presse signale une augmentation des tarifs des cantines de 20% à la rentrée dans certaines localités. Déjà certaines personnes des classes moyennes se restreignent prises dans l’étau de revenus en baisse et de crédits à assumer. Autour de nous on rencontre des amis, des connaissances qui ont faim.

Crise démocratique et des institutions, pour finir par cet exemple et sans revenir sur les Gilets jaunes ou le mépris des propositions de la Conférence sur le climat malgré les engagements. On le constate avec la non prise en compte de l’avis des gens, le décalage entre la réalité et la représentation… Obtenir le consentement dans cette situation est de plus en plus difficile pour les forces voulant maintenir l’ordre établi et c’est pourquoi le choix est pris d’un double matraquage, par les médias dominés et les forces de maintien de l’ordre, doublé d’une surveillance généralisée. Au niveau planétaire, il semble que la guerre puisse être de nouveau considérée comme un échappatoire. 

Tout cela n’a rien de très nouveau. Sauf le niveau atteint dans chacune de ces crises qui nous donne le sentiment d’être à la fois à une fin et un début.

On voit malgré tout se développer les manifestations et les luttes, parfois victorieuses, contre des fermetures d’usines, la destruction des services publics, les situations de non droit, les atteintes à l’environnement, les grands projets inutiles… On voit des initiatives de terrain très diverses se multiplier, en matière de solidarité, de coopération, d’autonomie énergétique, d’économie solidaire, d’oasis, de gestion partagée des communs, comme les plus de 200 que nous recensons sur notre site. Elles vont de pair avec des formes de résistance individuelle à travers les modes de vie, la bifurcation des jeunes y compris dans les endroits où ils sont sensés être formatés aux desiderata du capital.

Comme nous l’avions dit lors de notre séminaire de Montceau-les -Mines, cela confirme à notre avis la nécessité d’appuyer une alternative au libéralisme sur un trépied : le mouvement social et citoyen, les changements institutionnels, les expériences locales porteuse d’alternative et pouvant préfigurer des conquêtes à venir, et développer à partir de là un travail d’éducation populaire et de prise de  conscience.

Autre élément nouveau, le paysage issu des dernières élections. Alors que notre pays était habitué à deux camps politiques alternant au pouvoir pour des politiques similaires depuis 40 ans, ce sont trois blocs qui se sont dégagés : celui de la NUPES, celui autour de Macron, celui d’extrême droite. Aux côtés desquels on doit compter le continent abstentionniste, dont une partie est politique et l’autre – disent certaines enquêtes – illustre un complet largage d’avec toute forme d’intérêt pour la politique.

Il me semble que le bloc macroniste, agglomérant toutes les forces ayant participé au pouvoir ces 40 dernières années est voué à terme à l’écrasement. Plus grand monde ne croit encore aux mêmes recettes expérimentées par les uns et par les autres, ce qui laisse, dans le champs politique deux avenirs : 

  • L’extrême droite qui fait tout pour apparaître comme un parti de gouvernement et est aidé dans sa dynamique par la complaisance à son égard de la droite et du macronisme, l’angoisse sociale, le sentiment d’abandon des territoires ruraux, périurbains ou désindustrialisés
  • L’Union populaire avec la NUPES qui a renouvelé la perspective d’un changement favorable aux catégories populaires qui avait disparu. Cet espoir demeure.

Les signes montrent que le capital sans avoir renoncé au macronisme, a déjà décidé comme ses prédécesseurs : plutôt Hitler que le Front populaire. Même si aucun n’est encore ni l’un ni l’autre.

Le combat doit selon nous se mener à la fois concrètement et idéologiquement.

L’initiative citoyenne, les initiatives autogérées et de solidarité qui nous tiennent particulièrement à coeur et sur lesquelles nous agissons depuis des années, pour certains d’entre nous des dizaines d’années, sont aujourd’hui au coeur de cet affrontement concret et idéologique. En effet, on voit émerger des tentatives de récupération et une lutte d’influence qui nous semblent essentielles par rapport aux enjeux politiques.

Le groupe SOS, dirigée par Jean-Marc Borello, très proche de Macron, multiplie les opérations en direction de l’action locale de proximité : mise en réseau des épiceries solidaires par l’ANDES qui compte aujourd’hui de 120 épiceries solidaires en France, réseau des fermes d’avenir qui regroupe des fermes agro-écologiques, action territoriale pour favoriser l’accès aux services de proximité, l’animation du lien social, l’engagement citoyen. Le groupe SOS a lancé en septembre 2020, avec le soutien de Coca-Cola, le programme Quartiers cafés qui a pour objectif de contribuer à recréer du lien social en soutenant les cafés ou commerces des Quartiers prioritaires de la Politique de la Ville. Business et réseaux d’influence sont étroitement liés.

Le réseau Solaris, né en novembre 2021, se présente comme « un réseau d’entraide décentralisée et basée sur l’humain ». Il regrouperait déjà 50 000 personnes dans 6 pays. Le discours est hypocritement proche de celui de notre collectif : « Dans les temps difficiles que nous vivons, il va permettre que personne ne demeure isolé face à ses problèmes. Il apportera des réponses rapides et de proximité aux besoins de chacun ». Le principe de cellules locales interconnectées formant un maillage de solidarité est séduisant. Il y a beaucoup de propositions de stages et d’ateliers à l’initiative des participants (yoga, phytothérapie, culture, etc.)… Mais aussi des propositions de manifestations avec Florian Philippot et des discours bien complotistes. La direction du réseau, extrêmement opaque, sollicite de multiples données personnelles stockées centralement et pouvant être réutilisées. À la tête du réseau, des personnes proches de l’extrême droite et des liens avec le réseau Qanon. Un article de Lundi matin dénonce l’émergence d’un « éco fascisme ».

Ces deux entreprises ont en commun de capter sous des apparences conviviales et lénifiantes le vocabulaire et les aspirations de ceux qui veulent construire des alternatives de terrain.

Comment poursuivre et développer notre action dans ce contexte ?

Comment percevons-nous la situation politique ? Quels sont les domaines d’action prioritaires ? Quelle conception d’une nouvelle entre forces associatives, sociales, politiques et individuelles sur les constructions les issues possibles ?

Les principales idées issues du débat

C’est une vision du monde qui doit être instaurée, face à une industrialisation de la pensée et une chosification du monde par la société consumériste, face à un mur de l’argent qui n’a jamais été aussi puissant, en capacité de recycler les velléités de changement qui se multiplient dans la société.

Nous devons développer des alternatives locales au niveau des quartiers, des communes avec cette vision, faire émerger des coopératives intégrées de territoire, fabriquer des richesses autrement, et nourrir une réflexion porteuse d’éducation populaire à travers ces actions.

Il faut pour cela travailler avec tous les grands réseaux, les acteurs de la transition, de l’économie solidaire, car nous sommes forts, nous sommes très nombreux, en lien avec les élus et les forces politiques citoyennes.

On n’arrivera pas à renverser la table sans dépasser les clivages pour développer un travail commun du mouvement syndical et associatif et du mouvement politique qui agit sur le plan institutionnel. L’élection présidentielle a reconstitué une union de la gauche rassemblée sur un programme de rupture avec le capitalisme. Des deux côtés, la discussion est nécessaire, car nous voyons que les luttes buttent sur un mur, et inversement le mouvement politique voit bien que la créativité est ailleurs et qu’il ne suffit pas d’agir au niveau électoral et institutionnel. Des discussions ne sont pas contradictoires avec l’indépendance de chacun. Il faut créer un mouvement populaire qui s’empare des objectifs politiques.

Cependant, l’esprit du capitalisme n’est pas l’apanage des élites. Certaines fractions des classes moyennes ont intégré des pans entiers de la logique dominante et sont devenues des corps intermédiaires qui la relaient tout en étant elle-même exploitées et dominées. Comment construire des révolutions culturelles qui peuvent s’adresser à des personnes polluées, les aider à changer leur représentation et leur capacité d’agir ?

Il faut créer des espaces où on peut formuler les problèmes et élaborer à travers les discussions des solutions qui se rapportent à l’intérêt général. Mais il faut aussi construire une autre vision à partir des expériences et des luttes, bâtir une société dans laquelle la société civile et nos organisations jouent un rôle déterminant, avec une auto-organisation prenant en compte les questions écologiques.

Le collectif a accumulé les actions porteuses d’alternatives, constituant un terreau considérable de réflexions et de relations. Il s’agit aujourd’hui d’expliciter au nom de quelles valeurs sont réalisés les actions et sont menées les luttes, de quels espoirs elles se nourrissent, en quoi elles contribuent à formuler ou préciser un projet politique.

Il s’agit également de développer une réflexion sur les démarches de territoire participatives, rassemblant tous les acteurs autour d’un projet économique, social et culturel coconstruit, et observer comment se renouvelle la démocratie à travers des expériences concrètes de territoire, des syndicats d’habitants, des groupes d’entraide. Cette réflexion doit intégrer des expériences d’autres pays.

Pour contourner la domination qu’exercent les forces dominantes, politiques, économiques et médiatiques, il faut trouver des manières d’agir et de communiquer différentes, soutenir des actions plus créatrices, afin de s’adresser aux gens, à ceux qui ne votent pas, aux jeunes.

Comment développer les syndicats d'habitants, quelles pistes pour multiplier les expériences locales ?

Le terme syndicat d’habitants signifie qu’on s’organise pour défendre les intérêts d’un territoire et de ses habitants, et en même temps, comme un syndicat d’initiatives, on s’organise pour faire ensemble. Ces initiatives risquent de devenir centrales en cas de nouveaux désordres climatiques, sanitaires, géostratégiques ou économiques. C’est essentiel d’avoir commencé à s’organiser pour disposer en temps de crise de méthodes et d’exemple permettant de s’organiser rapidement.

On observe une grande variété de formes et d’initiatives : groupes informels, coopératives d’habitants, associations, syndicats, communes ou une structure intercommunale. Mais on observe un certain nombre d’invariants qu’on retrouve aussi bien en milieu urbain qu’en milieu rural, dans des proportions variables : 

  • partir des besoins concrets des gens par un travail d’écoute et de formation, qui constitue un préalable ;
  • constituer des groupes autonomes autour des problèmes rencontrés, afin de transformer les situations individuelles en initiatives ou revendications collectives ;
  • développer des initiatives économiques solidaires (coopératives de production de consommation, troc, réseaux d’échanges réciproques de services, d’objets de savoirs, monnaies locales,…) ;
  • obtenir des changements dans les politiques publiques, en associant les mobilisations, les pressions et les actions directes à des discussions avec les décideurs reposant sur des positions argumentées et opérationnelles. La dimension juridique est essentielle dans ces luttes ;
  • développer l’entraide, la solidarité et les lieux de parole sous diverses formes, l’objectif est que personnes ne reste isolé ou dans la détresse matérielle, alimentaire ou psychique,
  • élargir nos représentations et retrouver de la joie à travers les débats, et l’éducation populaire. Il s’agit de s’émanciper par rapport à la servitude volontaire obligatoire qui nous est imposée, de retrouver l’espoir et construire une autre vision du monde en retrouvant dans l’union un pouvoir d’agir.
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Partir des expériences de terrain

Consacrée aux syndicats d’habitants et aux groupes d’entraide, la matinée du dimanche a commencé par l’intervention d’acteurs de terrain, grâce à la présence de Michel Lulek, pour le Syndicat de la Montagne limousine, et de Josiane Günther, pour le collectif stéphanois Terrain d’entente. Deux autres exemples ont été présentés au préalable

  • Le collectif d’habitants CHO3 à Marseille, constitué durant le confinement et qui rassemble aujourd’hui 1000 personnes. Nous détaillons son fonctionnement dans un article.
  • Le collectif Alda au Pays Basque, un “syndicat du quotidien” créé en 2021 dans le sillon du mouvement Bizi, et que vous pouvez découvrir en vidéo

 

L’intervention de Josiane (Terrain d’Entente) 

Terrain d’entente est d’un travail de rue au pied des immeubles avec les enfants, puis les parents, s’inspirant de la pédagogie sociale. On s’adresse beaucoup à des femmes mères de famille. Il s’agit de prendre en compte les besoins des gens qui sont dépassés par les problèmes qu’ils rencontrent et qui les submergent, de rendre visible ce qui est caché et de créer des dynamiques collectives. La démarche est très proche de celle d’ATD Quart-monde. De nombreuses actions ont été réalisées, comme cette action pour sécuriser un terrain de jeu qui jouxte le boulevard urbain. Après plusieurs demandes sans réponse nous avons fini par décider de construire nous-mêmes cette barrière et la mairie a payé. Nous luttons pour améliorer les espaces communs d’habitat collectif (nettoyage, ascenseurs pas réparés), tâche qui n’est pas assurée par le bailleur alors que les familles paient des charges. Après différentes actions (lettre pétition, porte-à-porte, etc.), nous n’avons eu aucun résultat jusqu’au jour où le CDAFAL à relayé.

Nous nous appuyons sur un « savoir-faire galère » fait de débrouillardise et de capacité de réaction face à l’imprévu. Par exemple nous avions décidé d’ouvrir un salon de thé dans la rue piétonne au moment du confinement. Le jour de l’ouverture, panne de courant catastrophique. Les femmes ont montré une capacité de contournement extraordinaire, allant chercher des bougies, préparant le thé l’une chez l’autre pour le ramener, etc. Après Charlie, nous avons fait une soupe de l’amitié avec 150 personnes pour réaffirmer la fraternité, dans un contexte ignoble.

Un travail d’éducation populaire a été entrepris, pour sortir des expériences micro-locales et élargir aux problèmes de société. Avec les femmes de ménage qui ont des problèmes de santé à 40 ans et sont harcelées par Pôle emploi, on a travaillé sur le film « Ouistreham » et le livre « Deux millions de travailleurs et des poussières ».

Un travail sur la co-éducation a été entrepris, car beaucoup d’enfants sont en grande difficulté à l’école et les parents sont très inquiets. Nous essayons de mettre en place une communauté éducative, mais c’est difficile.

Toutes ces actions mettent en route une dynamique. Certains nous disent que Terrain d’entente les aide à trouver leur place mais cela ne change pas fondamentalement leur situation ni le quotidien. Actuellement, avec l’aggravation de la crise, on sent une résignation et un découragement. Après 11 ans d’action les personnes se sentent encore illégitimes. Comment faire prendre en compte leur expertise ?

L’intervention de Michel (Syndicat de la Montagne limousine)

Nous sommes dans l’hyper-ruralité, avec 10 habitants au km², dans une zone très forestière où se sont développées de nombreuses initiatives coopératives et associatives depuis plusieurs décennies. Le Syndicat de la Montagne limousine s’est créé sur ce terreau, à l’issue d’un long processus. En 2014, un groupe s’est constitué pour écrire un scénario alternatif de l’évolution du territoire en 2040 en réaction à celui fait par la DATAR, qui ne prévoyait que le développement de la forêt et d’espaces touristiques. Des acteurs de terrain ont pris le temps de formaliser une vision de leur territoire. Ensuite, des comités de montagne tous les trimestres se sont réunis. Des assemblées populaires et des manifestations ont eu lieu à l’occasion de chaque mobilisation, mais ensuite ça s’étiolait pour renaître ensuite. On s’est dit qu’il manquait un outil pour rendre plus pérenne ces mobilisations. Nous sommes allés à Barcelone rencontrer les syndicats de quartier, et nous avons vu beaucoup d’autres acteurs. La création du syndicat a permis la rencontre de deux mondes : celui des militants alternatifs de longue date est celui des gilets jaunes, qui ne se rencontraient pas.

Le mot syndicat a été choisi après le débat pour signifier que le SML a pour objectif de défendre les intérêts d’un territoire, et en même temps, à l’instar d’un syndicat d’initiatives, de s’organiser pour construire quelque chose. Le syndicat est à la fois formel, car nous avons une brochure et des prises de positions, et informel, car nous n’avons pas d’adhérents. Parfois on se retrouve à 200 dans des réunions, mais on peut aussi organiser une réunion avec le Conseil Régional pour mettre en place des syndicats de transports. Le mot d’ordre est « lutter et construire ».

Nous fonctionnons par groupes de travail autonomes. Aujourd’hui on en compte 12, soit pratiques, soit administratifs ou juridiques, pour répondre aux problèmes que se posent les gens. Quelque exemples :

  • Le groupe psy, soutien psychologique, pour les gens qui perdent pied.
  • Le groupe forêts, qui fait des manifestations pour empêcher les coupes rases, organiser des formations à la sylviculture, et a créé une association, Haut les cimes, pour acheter des parcelles de forêts et les gérer de façon écologique
  • Le groupe exilés, car nous avons sur le territoire 2 centres d’accueil de demandeurs d’asile et beaucoup de personnes sans-papiers après avoir été déboutées.
  • Le groupe logement foncier, qui publie une plaquette claire et lisible s’adressant aux élus pour expliquer les procédures, notamment pour récupérer les biens sans maître que la commune peut récupérer.
  • Le groupe sur l’eau qui a fait une enquête en suivant le cours de la Vienne pour faire se rencontrer tous les gens qui interviennent (riverains, pêcheurs, aménageurs, agence de l’eau, naturalistes, etc.)

Tout est bénévole et sans argent, hormis de façon ponctuelle l’utilisation d’opportunités comme par exemple quand la Région Nouvelle Aquitaine a fait un appel d’offres sur l’innovation sociale qui correspondait pile poil à ce que nous faisons.

Concernant l’organisation, un groupe de suivi se réunit tous les mois avec 25 personnes. Tous les groupes sont complètement autonomes, prennent les positions qu’ils veulent, sauf quand ils engagent le syndicat.

Une fois par trimestre une veillée permet à un groupe de présenter un projet en vue de l’adopter.

Tous les ans, un camp d’été de 3 jours réunit 200 personnes. Cette année, nous avons invité des groupes comme la coopérative intégrale du Haut-Berry, les gens de l’Aveyron liés à l’Empaillé…

Les perspectives : il y a des liens à tisser autour d’actions similaires porteuses d’alternatives, comme par exemple une auto-école associative, afin de créer des liens et échanger sur les méthodes. Peut-être l’an prochain nous pourrions élargir à d’autres, mais rien n’est arrêté.

Une synthèse de Didier, président de Changer de Cap

Ces témoignages montrent la diversité et la richesse des initiatives entreprises, autour de 4 fonctions principales.

Répondre aux  besoins concrets des gens, par un travail d’écoute et de formation

Dans différents contextes la première démarche est de répondre aux besoins concrets les plus urgents : se loger, se nourrir, trouver des ressources, se repérer dans la jungle administrative, etc. Des bénévoles vont à la rencontre des habitants pour les écouter, connaître leurs problèmes et leurs demandes, leurs indignations et leurs attentes. Quand des habitants expriment une colère ou une injustice, on  essaye de réunir le plus grand nombre de voisins concernés. A partir de là, on constitue un groupe. Les débats contribuent à transformer les situations individuelles en revendications collectives, aident les personnes à connaître leurs droits, à expliciter les causes des problèmes subis, réfléchir au sens et à la portée des actions menées.

Des formations sont organisées pour permettre aux personnes de connaître leurs droits, former les responsables à l’animation et aux dynamiques collectives.

Action directe et discussion argumentée avec les décideurs

La pression exercée est essentielle pour que les propositions soient prises en compte, en conjuguant à la fois des mobilisations, des pressions, des actions et des discussions avec les décideurs, avec des positions argumentées et opérationnelles . Il est également nécessaire de constituer  des alliances et des coalitions avec d’autres organisations, des syndicats, des mouvements, afin d’établir un rapport de force suffisant.

La dimension juridique des actions est essentielle : permanences juridiques, mise à disposition d’avocats pour permettre à des collectifs d’habitants victimes d’injustices de se défendre et d’attaquer, actions en justice ensuite.

Ces initiatives montrent qu’en s’organisant collectivement les classes populaires peuvent changer les choses, alors que seul chacun est complètement massacré par le système. Elles leur permettent d’être parties prenantes de leur territoire en apportant leurs propres aspirations et leurs besoins à un projet d’ensemble de transformation écologique et sociale.

S’entraider

On observe depuis 2 ans le développement de l’entraide et de la solidarité sous diverses formes. De multiples actions de la solidarité ont été recensées pendant le confinement,pour combattre l’isolement social de familles, de personnes âgées, de ceux qui sont isolés et n’existent plus pour personne. Certaines ont perduré.

Des groupes d’échanges et de parole permettent à chacun d’être écouté, ne plus être seul et retrouver confiance. Ils constituent des lieux d’éducation citoyenne à travers les débats sur des questions de fond ou d’actualité. Ils permettent de se libérer des conditionnements que nous impose la société (consumérisme, égoïsme, compétition, addiction numérique, etc.). Certains ont mis en place des groupes d’appuis psychologique face à la détresse psychique qui monte.

Des réseaux d’échanges réciproques de services, d’objets, de savoirs se sont développés partout dans le monde, notamment en Amérique latine. Notre hypothèse est que ces réseaux vont devenir de plus en plus nécessaires dans les années qui viennent.

Construire des actions porteuses d’alternatives

De très nombreuses actions porteuses de coopération, de reconstruction écologique, de lien social, d’économie solidaire, de démocratie directe et partagée, d’expression artistique, etc. sont entreprises par des collectifs citoyens, des associations, en s’appuyant sur l’engagement militant. À travers ses actions, elles permettent de redonner espoir et d’améliorer les choses dès à présent, même modestement, en fonction des besoins concrets et de l’engagement collectif. Mais à elles toutes ces actions tracent les contours d’une alternative globale, d’un changement de système reposant des valeurs de coopération, de solidarité et de partage. Elles préfigurent aussi les nouvelles politiques à venir en préparant le terrain.

S’émanciper, retrouver l’espoir

Les actions menées contribuent à faire sortir les gens de leur isolement, qui les rend vulnérables et résignés, et de leur montrer qu’en s’organisant collectivement il est possible de réactualiser le partage, la valeur humaine, le lien social, la diversité des relations humaines. La mise en place de syndicats d’habitants permet de constituer une force collective pour faire valoir l’exigence de l’accès au logement pour tous et toutes, de défendre et renforcer ce qui reste du service public sur le territoire, de mettre un terme, à l’échelle du territoire, à la destruction du vivant, des sols et des milieux humains. L’objectif est que tous deviennent partie prenante de leur territoire, au Pays basque comme sur la Montagne limousine, et que les classes populaires apportent leurs propres aspirations et leurs besoins à des projets d’ensemble de transformation écologiques et sociale.

Le témoignage de Jean-Yves (Les Localos)

Avec les Localos, nous avons bâti la notion de coopératives intégrées de territoires. Il s’agit de mettre ensemble de façon formelle des coopératives de production, de consommation, de troc, de savoir-faire, de monnaies locales. Il faut mettre l’économie dans l’écologie et pas l’inverse, pour satisfaire les besoins des citoyens. Cette idée de coopérative fait sortir de l’isolement, se rassembler, se donner  du courage, se donner la joie de pouvoir agir dans nos 20 km2 sur des choses qui vont nous faire du bien. C’est se donner la capacité d’agir. 

Comment on « ré-artisanale » le monde, comment on sort de cette pensée industrielle affligeante. C’est aussi la fin d’un monde. L’écologie siffle la fin de la récré de trois siècles de capitalisme irresponsable. Il s’agit de se resservir de notre passé puisqu’au XIXe on a inventé les coopératives pour éviter de tomber dans le désespoir et pour répondre à des besoins vitaux des populations qui ont été complètement exploitées et mises au service du capital. Cette mise en perspective permet de sortir de la servitude volontaire obligatoire et d’être dans la lutte et la construction. On prend les décideurs à leur propre jeu en montrant que les coopératives intégrées de territoire sont en capacité de montrer que leur modèle économique est viable. Elle indique aussi comment on crée de la richesse, y compris pécuniaire, de façon écologiquement responsable. Des outils existent aujourd’hui en matière d’urbanisme, de portage foncier, d’accompagnement. On a sur les territoires tous les outils de production capables de répondre aux besoins. Il y a juste une barrière à lever, c’est notre manière d’être au monde, notre culture et nos représentations. Allons dans cette idée que les syndicats sont en capacité non seulement de peser sur le réel mais de le transformer. 

Donc pour résumer, trois fois oui, d’autant que ces modèles localisés ne peuvent être efficaces que s’ils sont reliés les uns aux autres et tissés en réseau.

En conclusion, un chantier qui s'ouvre

Il est nécessaire d’approfondir ces questions à partir des échanges très riches que nous venons d’avoir. On propose de se revoir par pour creuser ces différentes hypothèses avec les volontaires.

Des initiatives ont d’ores et déjà été proposées :

Un appel commun à multiplier les syndicats ou coopératives d’habitants pourrait être lancé par un certain nombre d’organisations et d’expériences existantes, afin de créer une dynamique ;

La mise à disposition des méthodes pour dire comment constituer un syndicat d’habitants, ces démarches de projets sur des territoires de participation, etc. , sous forme écrite et/ou audiovisuelle

Des rencontres qui pourraient être organisées en 2023 afin de mutualiser les expériences et réflexions, avec des ateliers par thèmes, des échanges et des rencontres de terrain