Changer de cap

Cinq exigences pour une Convention d'objectifs et de gestion responsable

2. Humaniser les relations et les pratiques

Les propositions

Restaurer la réception physique des usagers

L’article L583-1 du Code de la sécurité sociale dispose que « les organismes débiteurs des prestations familiales et leur personnel sont au service des allocataires ». Ils sont tenus en particulier d’assurer l’information des allocataires sur la nature et l’étendue de leurs droits et de leur prêter concours pour l’établissement des demandes dont la satisfaction leur incombe ».

Chacun doit avoir la possibilité d’un accès de proximité effectif à un dialogue direct avec un agent de la CAF formé, qualifié, disponible, pouvant prendre la main sur les logiciels de calcul. Actuellement, les allocataires n’ont plus personne à qui s’adresser. Ils se trouvent face à un répondeur automatique et sont tenus de se substituer aux agents pour interpréter avec leurs faibles moyens une réglementation complexe, ce qui fait peser sur eux la responsabilité d’éventuelles erreurs.

Pour rendre possible un accompagnement de proximité, il est proposé d’ouvrir des antennes décentralisées par bassin de vie ou par quartier, disposant d’agents des CAF de niveau 2 qualifiés, formés à l’utilisation de ressources adéquates, à l’accueil et à la prise en compte de l’ensemble des problèmes de travail, logement, papiers, enfants, situation familiale, etc.

L’organisation actuelle des maisons France Services ne répond pas à ces besoins. Elles sont souvent réduites à une seule personne non formée et sans pouvoir, servant simplement de relais d’information à une dizaine de services publics. Souvent dépourvue d’une base arrière et de formation informatique et technique, cette personne ne peut que paraphraser les informations de base sans connaissances pour les interpréter, encore moins régler concrètement les problèmes.

Embaucher au moins 3 000 agents qualifiés

2500 emplois ont été supprimés au sein des CAF au cours des 5 ans écoulés, tout en remplaçant des emplois qualifiés par des emplois intérimaires. Ces suppressions de postes ont été décidées au motif que la numérisation allait tout simplifier, améliorer la productivité du travail et faciliter l’accès aux droits. C’est tout le contraire qui s’est produit. Nous avons constaté une désorganisation des CAF génératrice de désordres, une souffrance au travail des agents. Dans le même temps, les besoins ont augmenté car des taches nouvelles ont été confiées aux CAF et la pauvreté a augmenté. Avec la crise économique et sanitaire, il y a davantage d’ayants-droits. Au total, les surcoûts sont supérieurs aux « économies » réalisées, et on observe une baisse de la productivité du fait de la répétition des dysfonctionnements, notamment sur les APL.

« On n’a pas la main sur l’outil informatique, on en est tributaire. Quand la machine « bugue », en cas d’erreur, les techniciens ont peu de marge de manœuvre. Il faut faire des calculs à la main, ce qui n’est possible que pour certaines aides. Le logiciel peut rejeter cette manipulation, et refuser de valider le dossier. On peut travailler deux ou trois heures sur un dossier, revoir si tout est bon, et finalement, quand on valide ça rejette le dossier, et tout ce qui a été fait est perdu » (témoignage d’un agent CAF du Doubs).

Pour redresser cette situation, il est nécessaire d’embaucher au moins 3 000 agents qualifiés supplémentaires. afin de :

  • Permettre aux ayants-droits d’avoir un contact direct avec des agents qualifiés de la CAF, et de discuter de visu de leur situation avec des personnes qui les écoutent. Les programmes informatiques doivent être accessibles et transparents pour donner aux agents la possibilité de connaître le détail des calculs. Ceux-ci doivent aussi pouvoir prendre la main sur la machine et avoir la capacité de régler manuellement les multiples situations particulières qui ne peuvent être correctement traitées par un logiciel de traitement de masse, qui par nature ne prévoit que les situations les plus courantes.
  • revenir sur la politique de précarisation des personnels pour retrouver des agents formés et qualifiés à tous les niveaux, en particulier pour l’accueil du public et les contacts téléphoniques. Ceux-ci ne sauraient être délégués à des centres d’appel comme le prévoit l’un des contrats passés par la CNAF en novembre 2022.
  • Reconstituer au sein des CAF un corps de médiateurs-assistants sociaux, quand les caisses les ont supprimés, afin qu’ils informent, orientent et accompagnent les allocataires. Ces assistants sociaux peuvent en outre exercer de l’intérieur un rôle de médiation avec les services techniques. Pour les cas complexes, il est proposé de mettre en place un agent référent, comme en Belgique, pouvant exercer une continuité. Ce n’est pas aux associations ni aux travailleurs sociaux externes de se substituer à cette mission principale de la CAF.
  • Renforcer les moyens de la direction des systèmes d’information (DSI), afin de lui donner la possibilité de maîtriser en interne des évolutions et le contenu des appels d’offres, contrôler les prestataires, reconstruire le système informatique sur de nouvelles bases.
 

Des embauches sont génératrices d’économies du fait d’un meilleur fonctionnement des CAF de leurs effets sur la santé publique, la sécurité, la qualité du travail en interne, le sens de leur action, etc.

Nous demandons une évaluation partagée de ces effets dans une étude d’impact (voir proposition n°5)

La création de 3 000 postes correspond à un coût de 150 millions d’euros par an, si l’on estime le coût d’un agent à 50 000 €. Ce montant est à comparer à celui de bénéfices prévisionnels de la branche famille en 2023 (1,3 milliard) ou au montant des contrats de prestations informatiques passés depuis le 1er octobre 2022 (470 millions, voir fiche n°4) pour soi-disant pallier le manque de personnel

Il n’y a donc pas d’impossibilité budgétaire à restaurer un fonctionnement normal des CAF, c’est seulement affaire de volonté politique et de remise en cause d’une foi aveugle dans le tout numérique, en ouvrant les yeux sur la situation réelle.

Relancer l'action sociale sur les territoires

Le rôle des agents des CAF est distinct de celui des centres sociaux et des associations, qui remplissent une mission d’orientation des personnes par rapport à la complexité des procédures, d’appui pour les aider à connaître leurs droits et à se défendre le cas échéant. Les bénévoles et salariés, qui agissent en médiateurs et assurent une présence humaine irremplaçable, doivent voir leur rôle reconnu. Ils doivent avoir accès aux informations en ligne nécessaires pour cela et être associés aux concertations.

Ces lieux collectifs sont aussi des lieux où parler, agir et reprendre espoir avec d’autres à travers des actions communes. Là aussi, certaines CAF ont fortement réduit l’appui qu’elles accordaient à ces actions, laissant de nombreuses personnes isolées et seules avec leurs problèmes.

Nous demandons le retour au financement par les CAF des actions sociales collectives, là où il a été supprimé, car elles sont porteuses de lien social et d’éducation populaire. Nous n’ignorons pas que les pratiques ne sont pas toutes les mêmes selon les départements. Mais ces actions sont nécessaires pour redonner confiance dans le pouvoir d’agir en commun à des citoyens et des populations tentées par le repli sur soi et le rejet de l’autre.

Rendre effective l’obligation légale d'accessibilité aux services publics

Pour ancrer ces orientations dans les textes, nous proposons de mettre en débat l’extension de l’obligation légale d’accessibilité aux services publics aux services en ligne et à un accompagnement physique de qualité, analogue à celle qu’a instaurée la loi Handicap de 2005, à la fois physique, numérique et relationnelle, notamment pour les personnes qui ne peuvent pas accéder à des formes dématérialisées de services.

Cette proposition va dans le sens de l’arrêt du Conseil d’État du 3 juin 2022  qui précise que le gouvernement ne peut pas imposer le recours exclusif à un service public en ligne, mais que deux garanties doivent être respectées : permettre l’accès normal au service public et garantir aux personnes l’exercice effectif de leurs droits.

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