Changer de cap

Communiqués et prises de position

Rencontre au ministère des Solidarités : un échange constructif dont on attend la suite

11 OCTOBRE 2023

Une délégation du Collectif Changer de cap a été reçue le 10 octobre au cabinet d’Aurore Bergé, ministre des Solidarités et des Familles, par David Blin, directeur adjoint de cabinet, et Charles Boriaud, conseiller chargé des prestations sociales et de la solidarité à la source, pour donner suite à la proposition d’échange et de dialogue qui avait été formulée avant l’été.

En juin dernier, le collectif Changer avait lancé un appel à des changements d’orientation majeurs pour remettre l’humain et le droit au cœur de l’action des Caisses d’allocations familiales, signé par 80 organisations et 1250 signataires individuels, qui avait été envoyé aux deux ministres de tutelle (Solidarité et Budget) en sollicitant leur avis.

La rencontre avec le cabinet de la ministre des Solidarités s’est déroulée dans un climat d’écoute réciproque, en essayant de voir comment trouver des solutions à certains des problèmes soulevés.

De nombreuses anomalies ont été évoquées, dont celles résultant du traitement automatique des prestations, qui entraîne des suspensions abusives de prestations pendant parfois plusieurs mois, la baisse des effectifs qui se traduit par une déshumanisation, l’absence de contacts humains. La dématérialisation s’accompagne d’un non-respect des droits numériques et du non-respect du contradictoire et du reste à vivre et d’une multiplication des contrôles ciblés sur les plus fragiles. La non-publication et des instructions et circulaires internes de la CNAF empêchent les allocataires de défendre leurs droits. Toutes ces pratiques sont en contradiction avec de nombreux articles du RGPD et avec de multiples dispositions législatives et réglementaires et constituent des atteintes disproportionnées aux droits fondamentaux.

David Blin a remercié la délégation de ce rapport très complet et concret, dont il ne conteste pas les témoignages. Il ne prétend pas que tout est parfait. On s’aperçoit que le tout numérique ne peut pas marcher, et doit être équilibré par la possibilité d’avoir des gens au téléphone, des êtres humains près de chez soi. Des progrès sont à faire sur la qualité de service et l’accès à des services publics de proximité. Le gouvernement compte sur la solidarité à la source pour « rétablir une qualité de service suffisante », avec une relation moins automatisée, et prévoit de généraliser le pré-remplissage des déclarations pour le RSA et la prime d’activité début 2025.

Les membres de la délégation ont estimé que le pré-remplissage ne réglera pas toutes les anomalies constatées, qu’il est nécessaire de corriger sans attendre. Avant d’envisager la solidarité à la source, un certain nombre de conditions doivent être remplies en matière budgétaire, de moyens humains pour réaliser un traitement physique des dossiers, de garde-fous sur le plan numérique. La propriété et la protection des données posent question. David Blin a indiqué que la Première ministre a fait de l’accès aux droits l’une de ses priorités, et que le ministre du Budget devra accepter l’augmentation des volumes de prestations qui résultera d’une diminution des non-recours.

Le cabinet va étudier en détail l’ensemble des analyses et propositions qui figurent dans le dossier transmis, en parler avec la ministre et avec la CNAF pour apporter une suite à cette première rencontre, dans cette formation ou dans une formation plus large.

On attend donc la suite avec impatience.

La délégation était composée de Maryse Artiguelong, vice-présidente de la Ligue des droits de l’homme, Carole Saleres, conseillère nationale d’APF France-Handicap, David Bapceres, membre du CA de Changer de cap et avocat au barreau de Lyon, et Didier Minot, président de Changer de cap

Les CAF, branche famille de la Sécurité sociale, constituent un service public central en matière de cohésion sociale. Sous la double tutelle du ministère du Budget et du ministère des Solidarités, elles distribuent chaque année 100 milliards d’euros de prestations. La Convention d’objectifs et de gestion (COG) adoptée le 4 juillet était très attendue pour voir comment les CAF pouvaient sortir de la tourmente où les a plongés une série de réformes, à commencer par celle des APL, une dématérialisation largement confiée à des prestataires privés et une réduction drastique de leurs moyens qui les a désorganisées, entrainant de multiples problèmes pour les allocataires.

6 JUILLET 2023

 La Convention d’objectifs et de gestion passée entre la CNAF et l’État a été adoptée le 4 juillet 2023 par le Conseil d’administration de la CNAF, à une large majorité. Les administrateurs ont notamment été sensibles à la concertation préalable, à l’accroissement des moyens de l’action sociale, aux mesures en faveur de l’enfance et la jeunesse et à la création de 650 emplois en CDI. Le gouvernement a lâché provisoirement du lest, sous la pression conjuguée des alertes des CAF et de leurs agents et des critiques multiformes émanant notamment des associations de défense des droits ou de lutte contre la pauvreté dans un contexte constaté par tout le monde d’une forte détérioration des services rendus aux usagers. Mais il n’a pas abandonné son objectif à terme de dématérialisation totale, synonyme de déshumanisation totale.

On peut saluer les 650 postes obtenus, alors que dans le même temps la COG conclue par la CNAM va se traduire par la suppression totalement irresponsable de 1700 postes. La COG adoptée par la CNAF reconnaît une détérioration de la qualité des services en matière de liquidation des prestations avec une forte hausse des indus et des rappels, un accroissement des délais de traitement des dossiers et une dégradation de la relation avec les allocataires. Elle précise que les variations de droits, les successions d’indus et rappels, les suspensions préventives de versement des prestations sont génératrices d’incertitudes pour les allocataires, créent de l’insécurité et engendrent un renoncement aux droits. Il y a donc un net infléchissement du discours, longtemps marqué par une certaine dénégation de l’ampleur des problèmes, même si ces difficultés sont seulement attribuées au contexte difficile depuis 2020 (crise sanitaire, réforme des APL…), sans que ne soit évoqué la dématérialisation à marche forcée, les suppressions d’emplois, l’organisation du travail au sein des CAF et les méthodes de management.

En revanche, en matière de relations avec les allocataires, la convention tient deux discours contradictoires. D’un côté, elle parle de relations de confiance et d’accès aux droits, mais en restant dans le registre des promesses. De l’autre, elle organise un renforcement des contrôles. L’amélioration du recouvrement des indus apparaît comme l’objectif majeur (page 107). La confusion entre l’erreur et la fraude n’est pas levée, car la convention fixe des objectifs quantitatifs de constatation de « préjudices frauduleux et/ou fautifs », en forte hausse par rapport à la précédente convention (p 114). Les objectifs étaient de 280 millions d’euros en 2022. Ils doivent atteindre 375 millions en 2023 et 480 millions en 2027, ce qui favorise les contrôles abusifs et à charge. Aucun indicateur chiffré n’est fixé en matière d’amélioration de l’accès aux droits et de lutte contre le non-recours, alors que ce dernier représente 12 milliards d’euros, un montant colossal de prestations perdues pour les ménages.

La COG prévoit un renforcement des moyens des services informatiques. C’est positif si cela permet de renforcer la maîtrise d’ouvrage des programmes par la CNAF et de développer une amélioration continue des procédures et des services, en y associant les allocataires. L’accroissement des moyens consacrés à l’informatique est de 38 %, alors que l’accroissement du nombre d’emplois en CDI sera de 2 %. La nécessaire amélioration de la qualité de service et une plus grande humanisation des CAF devraient se traduire par une attention au moins aussi marquée que celle portée à la dématérialisation, et bénéficier aussi de davantage de crédits et de postes.

Il faudrait recruter plusieurs milliers d’agents pour rendre effective la promesse d’un traitement rapide des dossiers sans interruption des droits, afin de développer l’accueil, mieux accompagner les allocataires dans leurs pratiques déclaratives, restaurer un traitement physique des dossiers suspendus automatiquement par les algorithmes. Il faudrait également rompre avec les pratiques actuelles de suspensions préventives de toutes les prestations à la moindre variation de situation (ressources, configuration familiale, etc.) ou la moindre suspicion d’irrégularité sous prétexte de prévention des indus, objectif posé en priorité absolue. Visiblement, la tutelle n’est pas prête à accorder les moyens nécessaires ni à revenir sur ces pratiques.

Pour résoudre les difficultés, la convention s’en remet aux effets attendus de la solidarité à la source, tout en reconnaissant que même après sa mise en place de nombreux risques d’erreurs resteront à couvrir et devront être traités par les gestionnaires, et que les améliorations attendues n’interviendront qu’à la fin de la période quinquennale. De ce fait, on risque de voir se perpétuer certains errements actuels pendant toute la durée de la convention, notamment ceux dénoncés par Changer de Cap (voir le dossier en lien). L’amélioration de la qualité des paiements apparaît comme une promesse assez lointaine et les nombreuses pratiques illégales ou discriminatoires constatées à travers les témoignages risquent encore de perdurer longtemps.

Ainsi, malgré un infléchissement sensible et bienvenu des discours et des objectifs affichés, on peut craindre de voir se poursuivre la chasse aux indus, quoi qu’il puisse en coûter humainement, les pratiques engendrant du non-recours et une maltraitance des plus vulnérables, au mépris de conséquences sociales et humaines souvent dramatiques.

Cette forme de maltraitance institutionnelle n’est pas propre aux CAF et se développe dans de nombreux services publics. Elle suscite un rejet et une exaspération croissante de la population. Elles se sont exprimées contre la réforme des retraites. Aujourd’hui la révolte des jeunes nous montre une perte de confiance dans la justice et la police. Le fossé se creuse entre la population et les institutions, source de toutes les dérives.

Si l’on veut rompre avec cette évolution mortifère, il est essentiel que la branche famille de la Sécurité sociale ait les moyens et la volonté, à travers des mesures précises et immédiates, pour pleinement tenir les intentions affichées dans la COG et rétablir une relation de confiance avec les allocataires. Faute de quoi le divorce ne pourrait que s’accentuer entre les citoyens et l’action publique.

 

BILLET – 29 AVRIL 2023

Le 28 avril 2023, l’agence de notation Fitch a dégradé la note de l’État français à AA —, au motif que « l’impasse politique et les mouvements sociaux que connaît le pays constituent un risque pour le programme de réformes de Macron et pourraient créer des pressions en faveur d’une politique budgétaire plus expansionniste ou d’un renversement des réformes précédentes » (voir ici).

En clair, les principaux fonds d’investissement, dont les agences de notation représentent les intérêts, estiment que l’application brutale et maladroite des réformes, dont ils sont pourtant les inspirateurs, met en danger leurs intérêts. Or le gouvernement justifie sa politique antisociale par la nécessité de se soumettre aux intérêts des « marchés financiers », c’est-à-dire des détenteurs de capitaux. Le mois dernier, Emmanuel Macron avait justifié le recours au 49 3 par la nécessité de pouvoir emprunter en dessous d’un taux de 3 %.

Rappelons que la dette de l’État (3000 milliards d’euros) a été gonflée par les aides « quoiqu’il en coûte » aux entreprises pendant et après la crise sanitaire. Elle aurait pu parfaitement être annulée par le Fonds monétaire européen pour assainir l’économie européenne — voir sur ce point notre soirée débat « Comment sortir du piège de la monnaie-dette ? » Avec Anice Lajnef. Son maintien permet de justifier la poursuite indéfinie des politiques d’austérité en matière sociale, pour des raisons purement idéologiques et non économiques, tout en multipliant à l’infini les aides aux entreprises (207 milliards en 2022), permettant à leurs actionnaires de bénéficier de près de 80 milliards d’euros en dividendes et rachats d’actions (voir ici).

Comme pour Liz Truss en Grande-Bretagne, les propriétaires de capitaux sanctionnent une équipe et un président coupés des réalités sociales, inexpérimentés en matière de gestion politique, sûrs de bien faire en transposant à l’action publique les règles qu’ils ont apprises dans les banques, prêts aux pires excès pour complaire à ses maîtres. Selon Gabriel Attal, ministre des Comptes publics, c’était « la réforme ou la faillite ». Aujourd’hui, ils n’ont pas encore la réforme, mais la faillite vient de leurs bons maîtres, et ceux-ci n’attendront pas 4 ans.

Didier Minot, président de Changer de Cap

COMMUNIQUE -25 avril 2023

Le 1er mai unitaire et populaire qui s’annonce marquera une nouvelle étape de l’immense réveil démocratique que nous vivons depuis janvier. Nous nous sommes déclarés membres des Soulèvements de la Terre. Nous appelons bien sûr à rejoindre les manifestations du 1er Mai. Il s’agit de rejeter la réforme des retraites, mais aussi d’agir pour la défense des solidarités et de la démocratie, la justice climatique et l’émergence d’une alternative globale.

Emmanuel Macron s’obstine et multiplie les erreurs. Son exercice autoritaire du pouvoir perd les derniers lambeaux de sa légitimité, désormais sans autre argument que la violence. Avec son arrogance et son inexpérience, il apparaît pour ce qu’il est : le représentant direct de puissances financières mondialisées et sans état d’âme.

Cette bataille est décisive : tout se passe comme si ce capitalisme estimait nécessaire, pour préserver ses profits, son organisation et ses modes de vie, de casser la résistance des peuples, se débarrasser des particularités nationales. Il refuse toute expression de solidarité, sacrifiant sans scrupule aucun une partie de l’humanité.

Pour nous, pour les peuples, la question est également de se préparer au monde qui vient, mais en misant au contraire sur la solidarité, l’entraide, la redistribution des richesses, la justice sociale et la démocratie partagée. Ils ont la puissance de l’argent, nous avons le nombre, la force de l’espoir, la joie et l’énergie de l’action commune.

C’est pourquoi nous appelons à multiplier les collectifs citoyens, les expériences porteuses d’alternatives, les initiatives de territoires autogérés, les échanges de services et de savoirs, l’éducation populaire. Il s’agit de bifurquer collectivement et d’affirmer une autre conception du monde. L’action que nous menons depuis un an pour remettre l’humain et le droit au cœur de l’action des CAF va dans ce sens.

Nous appelons à porter ces revendications et ces perspectives sur les pancartes et les banderoles. Nous appelons à développer les actions symboliques, à faire signer l’appel qui vient d’être lancé dans les manifestations, devant des CAF, dans les files d’attente de Pôle emploi, etc., et à interpeller les élus, à répandre autour de nous la détermination citoyenne et le renouveau démocratique.

Le bouillonnement qui s’exprime partout en France ouvre cet horizon.

Le 1er mai unitaire et populaire qui s’annonce marquera une nouvelle étape de l’immense réveil démocratique que nous vivons depuis janvier. Nous nous sommes déclarés membres des Soulèvements de la Terre. Nous appelons bien sûr à rejoindre les manifestations du 1er Mai. Il s’agit de rejeter la réforme des retraites, mais aussi d’agir pour la défense des solidarités et de la démocratie, la justice climatique et l’émergence d’une alternative globale.

Emmanuel Macron s’obstine et multiplie les erreurs. Son exercice autoritaire du pouvoir perd les derniers lambeaux de sa légitimité, désormais sans autre argument que la violence. Avec son arrogance et son inexpérience, il apparaît pour ce qu’il est : le représentant direct de puissances financières mondialisées et sans état d’âme.

Cette bataille est décisive : tout se passe comme si ce capitalisme estimait nécessaire, pour préserver ses profits, son organisation et ses modes de vie, de casser la résistance des peuples, se débarrasser des particularités nationales. Il refuse toute expression de solidarité, sacrifiant sans scrupule aucun une partie de l’humanité.

Pour nous, pour les peuples, la question est également de se préparer au monde qui vient, mais en misant au contraire sur la solidarité, l’entraide, la redistribution des richesses, la justice sociale et la démocratie partagée. Ils ont la puissance de l’argent, nous avons le nombre, la force de l’espoir, la joie et l’énergie de l’action commune.

C’est pourquoi nous appelons à multiplier les collectifs citoyens, les expériences porteuses d’alternatives, les initiatives de territoires autogérés, les échanges de services et de savoirs, l’éducation populaire. Il s’agit de bifurquer collectivement et d’affirmer une autre conception du monde. L’action que nous menons depuis un an pour remettre l’humain et le droit au cœur de l’action des CAF va dans ce sens.

Nous appelons à porter ces revendications et ces perspectives sur les pancartes et les banderoles. Nous appelons à développer les actions symboliques, à faire signer l’appel qui vient d’être lancé dans les manifestations, devant des CAF, dans les files d’attente de Pôle emploi, etc., et à interpeller les élus, à répandre autour de nous la détermination citoyenne et le renouveau démocratique.

Le bouillonnement qui s’exprime partout en France ouvre cet horizon.