Des groupes d’échanges pour se soutenir et s’entraider
Dans toutes les périodes difficiles, des citoyens se sont organisés en cellules, fraternités, groupes d’action, loges, etc. pour s’entraider, renforcer leur convictions et agir ensemble. Dans la période actuelle, il est indispensable de trouver de nouveaux modes d’organisation pour résister et construire.
La crise sanitaire et économique qui se prolonge est en train de bouleverser l’économie, les relations sociales, les rapports de force politiques. En France, elle se traduit déjà par la précarité et le chômage de millions de personnes supplémentaires.
En même temps, le néolibéralisme, qui s’appuyait sur la démocratie libérale pour canaliser les mécontentements populaires, est en train d’effectuer une mutation vers un régime qu’on peut qualifier d’hyper-capitaliste, ou de libertarien-autoritaire. Comme le disent Marlène Benquet et Théo Bourgeon[1] « celui-ci repose sur la défense radicale de la propriété privée comme unique règle de la vie sociale, sans considération pour ses effets collectifs, et la généralisation du numérique pour « construire un homme nouveau » et instaurer une surveillance généralisée. Ce régime limite le rôle de l’État, y compris dans ses fonctions régaliennes. Hostile à tout mécanisme redistributif, il fait de la répression des mouvements sociaux et de la réduction des libertés publiques, du contrôle des manifestations et de l’expression la modalité privilégiée du maintien de l’ordre social. Il est autoritaire sur le plan politique ». Ce régime est apparu au grand jour aux États-Unis, avec Trump, au Royaume-Uni, au Brésil. La France d’Emmanuel Macron semble s’y engager à son tour.
D’où la proposition de multiplier les petits groupes d’entraide, de 6 à 12 personnes, soit à distance, soit en présence sur un territoire. L’objectif n’est pas de constituer des petits groupes où tous partagent exactement les mêmes options, et d’accepter une certaine hétérogénéité, avec une écoute réciproque. La référence commune est dans la charte de principes du Collectif « Changer de cap »
Comment faire pour constituer un groupe d’échanges ?
Proposition : Comment constituer un groupe d’entraide et d’échanges pour résister, construire et changer de cap ?
Quelques exemples de groupes d’entraide et d’échanges
On trouvera ici quelques exemples de groupes existants, où les échanges et la fraternité permettent de se soutenir mutuellement, de réfléchir ensemble et de s’entraider.
En particulier, nous avons beaucoup à apprendre des groupes de gilets jaunes qui constituent des lieux de fraternité partagée et des groupes d’entraide mutuelle (GEM) développés par des usagers de la santé mentale qui pratiquent la pair aidance.
Gilets jaunes près d’Arènes convivialité, chansons et discussions
Le noyau des gilets jaunes fait une réunion un soir par semaine chez un couple qui habite à la campagne. On discute des actions que l’on va mener et on déjeune tous ensemble. On chante aussi parfois.Quelques nouvelles personnes se joignent au groupe plus ou moins régulièrement. Manger, rire et boire ensemble, lutter ensemble, prendre les mêmes risques ensemble. Une fois ces conditions réunies, on peut parler de tout.
Ce lien que l’on fait, entre différentes catégories sociales et opinions politiques, sur la base d’idéaux républicains, est fort. On aplanit facilement les divisions. Les gens entrent facilement en contact avec nous. Surtout pas donner de leçons. Surtout ne pas faire la morale. Surtout ne pas se mettre en surplomb, mais accueillir toutes les paroles, être avec, à la même hauteur.
Le groupe a enregistré un CD et un DVD de 30 mn de 8 chansons écrites par Richard sur des airs de chansons françaises, qui racontent la lutte des GJ de façon chronologique. Objectif : se faire plaisir, garder la mémoire de la lutte, s’en servir pour garder le moral… On sent beaucoup de fierté ! Voir ici la page facebook
En août 2021, le groupe a repris le chemin des manifestations avec les pompiers et les soignants contre l’in-humanité des décisions sanitaires de l’été 2021.
Résistance citoyenne à Avignon : se retrouver pour retrouver du courage
Nous sommes dans le Vaucluse un groupe des gilets jaunes qui couvre un territoire centré sur Avignon, qui va jusqu’à Cavaillon et Orange. Actuellement, la société est fragmentée et ça nous décourage. Il y a actuellement un écrasement de toute la vie sociale avec le COVID, qui nous empêche de nous retrouver, d’être en réseau.
Un groupe d’une dizaine de personnes continue de se réunir. Pour entretenir la mobilisation, nous nous retrouvons pour des journées de fraternisation avec pique-nique, randonnée, concours de pétanque, petite présentation au début, discussions. Il y a des actions d’entraide avec les étudiants difficultés nous proposons des repas à emporter. Nous participons aussi aux manifestations qui redémarrent.
Les équipes CMR (Chrétiens monde rural) aident chacun dans son action
Une équipe CMR est en général composée de 6 à 12 personnes habitant une même zone géographique. Elle se réunit tous les mois, chez l’un ou l’autre des membres. Une réunion dure en général 2 ou 3 heures, avec un moment convivial à la fin. On commence par se partager des nouvelles des événements, puis les personnes qui le souhaitent racontent un événement qu’elles ont vécu, au travail, personnellement, dans le monde associatif, syndical, ou citoyen. La dernière étape consiste à proposer des actions concrètes suite à la réflexion partagée. Ces actions peuvent se réaliser individuellement ou collectivement.
On part toujours d’une expérience personnelle et pas d’une généralité. Une fois qu’on a fait le tour, on se met d’accord sur un fait que l’on va analyser plus en détail. Chaque personne de l’équipe s’exprime à son tour, pour dire comment ce fait résonne en elle. On cherche ainsi à exprimer ce qui nous choque, nous enthousiasme nous interpelle, nos questions, nos convictions par rapport au sujet abordé. Les autres l’écoutent sans l’interrompre, puis peuvent poser des questions

Par l’écoute bienveillante, sans jugement des personnes, et par la durée (une équipe se réunit régulièrement pendant plusieurs années) des relations fraternelles et de confiance se créent dans l’équipe.
Ces échanges donnent la possibilité de se forger une opinion à travers des discussions, des réflexions, en aidant chacun dans son action à son propre niveau. Véritable « sas de décompression » l’équipe permet de ne pas se sentir seul face aux évènements de la vie et de se soutenir mutuellement. En ce sens, l’équipe donne les moyens d’agir face à des interrogations, des problèmes, des conflits.
RECIT Viroflay, échanges sur les convictions et les pratiques
Depuis 2010, un groupe de partage s’est constitué avec une douzaine de personnes, sur Viroflay Chaville pour s’écouter mutuellement, aider chacun à mieux faire le lien entre ses convictions et son action.
Le groupe se réunit tous les 2 mois environ, chez l’un ou chez l’autre, après dîner. Pour chaque séance, on choisit un thème (que faire par rapport au réchauffement climatique, les effets du confinement,…) ou on écoute l’expérience de l’un ou de l’une d’entre nous. Chacun parle à tour de rôle en essayant de s’impliquer personnellement pour dire ce que ça implique dans sa vie ou dans son action, et ce que l’expérience de l’autre évoque pour soi-même, avec des échanges. Au début, un débat d’une demi-heure sur l’actualité est organisé.
La durée permet aux gens de se connaître, de savoir comment chacun évolue et crée un capital de confiance. Ces temps réguliers d’écoute réciproque et d’échanges permettent à chacun de rendre plus objectif son engagement ou sa vie, et développe une fraternité entre les membres. Il s’agit plus d’un groupe de parole que d’un groupe d’entraide matérielle. L’entraide est plutôt une aide réciproque au discernement.
L’Espace Convivial et Citoyens (ECC), place des Fêtes à Paris, s’est créé dans une démarche d’autogestion, de responsabilisation et de créativité pour offrir un lieu à ceux dont les paroles ne sont pas entendues du fait qu’ils sont étiquetés malades mentaux, handicapés ou usagers des services de psychiatrie. « Ce samedi après-midi, 10 personnes sont réunies à Advocacy pour l’atelier Soin de Soi, qui veut faire ressentir à chacun son corps autrement. Un autre groupe a participé à une projection d’un film, et les opinions divergent sur la morale de l’histoire, venant faire résonner les histoires de chacun, entre éclats de rire et coups de gueule ».

Animé par deux salariés, dont l’un est formé tous les 6 mois, l’espace fonctionne avec les subventions (agrément GEM), mais aussi pour des actions de lutte contre les discriminations. La démarche est ouverte. Le lieu accueille des expositions, des réunions associatives Voir l’ouvrage de Martine DUTOIT L’Advocacy en France ed EHESP 08 Voir ici le site d’Advocacy
L’expérience des GEM et la « pair aidance »
En effet, le basculement dans la précarité tout comme l’absence de perspectives politiques favorisent l’agressivité, les troubles psychosomatiques, les angoisses, la dépression, etc. que la société a tendance à qualifier de pathologiques dès lors qu’elles s’écartent de la norme (voir Édouard Zarifian, Les jardiniers de la folie, 1988, Odile Jacob)
En France, depuis 2005, 400 GEM (groupes d’entraide mutuelle) se sont constitués pour créer des relations d’entraide entre pairs avec des personnes en difficultés psychiques, dans l’optique d’une citoyenneté partagée. Advocacy fait la même chose depuis plus de 20 ans.
Les méthodes et les pratiques d’entraide et de citoyenneté partagée qu’ils ont développées sont des références précieuses pour penser aujourd’hui le développement de l’entraide mutuelle dans une situation de crise sanitaire, économique et politique.
Voir ici le lien Comment constituer un GEM citoyen, avec quelles méthodes
GEM Aveyron Créer des liens durables par des échanges entre amis et familles de malades psychiques
En Aveyron, l’UNAFAM a mis en place des Groupes d’Entraide Mutuelle avec des parents ou amis de personnes vivant des difficultés psychiques. Il s’agit de prendre du recul grâce aux échanges d’expérience bienveillants qui autorisent à sortir du cercle où peut nous entraîner la souffrance d’un proche. A partir de connaissances partagées, ces groupes se ré-interrogent sur les valeurs à promouvoir, y compris en termes de citoyenneté. Le handicap psychique pouvant avoir pour conséquence l’incapacité à élaborer des demandes et projets personnalisés, il s’agit de rechercher avec tous les partenaires de la cité les moyens de permettre aux handicapés psychiques de développer des liens durables et d’acquérir une place dans la cité.

La Maison des Babayagas est une maison autogérée de femmes âgées, autonomes, solidaires et citoyennes. La Maison regroupe des personnes âgées du quartier, femmes et hommes, qui s’entraident à à bien vieillir ensemble et à mourir, de façon solidaire (« in solidum »).
Les Babayagas créent du lien et du bien, refusant le martyr social et inventant le social ludique. La vieillesse n’est pas forcément un naufrage.
Elles sont également citoyennes. Loin de s’enfermer en ghetto, elles sont ouvertes sur la ville, actives autour de nous autant qu’elles le pourrons, articulant vie sociale et vie culturelle soutien scolaire, aide aux jeunes femmes, alphabétisation, transmission et échanges réciproques de savoirs et de traditions, initiation au S.E.L. etc. rencontres, concerts, , cinéma, expositions, jours de réception conviviale interculturelle, intergénérationnelle et gastronomique. Voir la page facebook