Changer de cap

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11 septembre 2020

Séminaire du Collectif « Changer de cap » à Montceau-les-Mines du 28 au 30 août

Deux jours de rencontres qui ont rechargé les accus

 

Le séminaire du Collectif « Changer de cap », qui s’est déroulé à Montceau-les-Mines du 28 au 30 août, avait pour objectif de se retrouver en chair et en os, après 5 mois de réunions à distance, et de réfléchir aux orientations et aux priorités d’action du collectif dans une situation nouvelle.

Les échanges ont réuni 45 personnes, essentiellement des acteurs de terrain. Les actions menées couvrent des champs très divers : écologie et énergies renouvelables, santé, arts, agriculture et alimentation, ESS, auto organisation des chômeurs et précaires, défense des droits, lutte contre les violences policières, médias alternatifs. Beaucoup de gilets jaunes parmi les participants, mais aussi des militants écologistes, altermondialistes, associatifs, mutualistes et quelques élus municipaux fraîchement élus.

Tous les participants ont salué la richesse des échanges sur les pratiques des uns et des autres, en partant du concret et les questions locales. Ce climat a été facilité par l’accueil et la capacité d’organisation légendaire des gilets jaunes du Magny, qui avaient déjà organisé la 3ème ADA, et du groupe local du CNNR 71 : repas préparés par l’équipe des bénévoles du Magny, hébergement solidaire, produits du terroir apportés par les participants, tout cela a contribué à une ambiance fraternelle qui redonne confiance.

Un contexte difficile

Ce séminaire se déroule en effet dans un contexte difficile. La crise sanitaire et économique ne s’est pas arrêtée avec la fin du confinement. Beaucoup de militants sont épuisés par presque 2 ans de luttes en continu. Les contraintes sanitaires ont été plus efficaces que les violences policières pour freiner le mouvement. Sur de nombreux territoires la mobilisation revendicative a fondu en août comme neige au soleil. Certains militants sont perdus, ne savent pas quoi faire ni où se tourner faute de perspectives stratégiques. Certains groupes de gilets jaunes ont disparu, parfois minés par des conflits de personnes. D’autres en revanche ont continué pendant l’été de se réunir et de mener des actions, et quelquefois se transforment autour de projets locaux concrets.

La perte d’espoir de certains est aussi liée à l’illusion qu’ils pouvaient avoir de renverser le cours des choses par la seule force des marches pour le climat ou d’un soulèvement populaire. Bien au contraire, le système est en train de passer à une nouvelle étape, à un capitalisme numérique, fait de surveillance, de régression des droits et rejet des faibles. Ce sentiment d’impuissance est aussi la source de l’abstention massive des classes populaires, danger majeur pour la démocratie. La perte de confiance dans les organisations politiques et le désespoir découragent la plupart et rendent à nouveau certains citoyens réceptifs à tous les discours de gourous, démagogues ou délirants comme de l’extrême droite.

Cependant, la mobilisation est en train de repartir. La colère est toujours là, elle se renouvelle au vu de la politique réactionnaire pratiquée par le gouvernement. Beaucoup préparent la journée de manifestations du 12 septembre, et celle du 17 septembre à l’appel des syndicats. Les manifestations reprennent contre les fermetures d’entreprises, les décisions iniques, l’absence de véritable plan santé, etc. Sur le terrain, beaucoup s’investissent dans de nouvelles actions, comme le montrent les témoignages des participants au séminaire. La mobilisation est moins visible, mais devient plus organisée.

Dans ce contexte, les débats au cours de ces 2 jours ont abordé principalement trois points.

La mutualisation des actions porteuses d’alternatives, source d’espoir et de mobilisation

Au cours du séminaire, on a beaucoup parlé du fond et pas seulement de stratégie politique, en partant des problèmes que rencontrent les gens. Plus d’une vingtaine d’expériences de terrain ont été présentées, comme par exemple Alterpresse à Mulhouse, l’Union des mutuelles du Vaucluse, restée fidèle à l’esprit des mutuelles de travailleurs, le Parc des libertés à Avignon, qui réalise un travail d’éducation des enfants des quartiers populaires, « De la ferme au quartier » à Saint-Étienne, qui organise à grande échelle des circuits courts pour rendre accessible à tous une alimentations de qualité, le groupe local du CNNR 71, qui incite les gens à faire des propositions pour construire un projet de vie, Chom’actif 63, qui organise à Clermont-Ferrand de nombreux services pour les chômeurs et précaires, les gilets jaunes de Mirepoix, qui font des conserves avec les invendus du marché et les redistribuent gratuitement, etc. On trouvera une brève description de la plupart d’entre elles jointe en annexe.

Les échanges d’expériences ont contribué à faire du lien entre les actions porteuses d’alternatives et à faire connaître ce qui marche. Ces échanges contribuent à rendre transférables les initiatives et permettent à chacun d’inventer ses propres actions. Chacun a pu réaliser qu’il n’est pas seul à agir, et que de nombreuses actions porteuses d’alternatives sont menées un peu partout, parfois importantes. Elles dessinent le paysage d’un pays non résigné et constituent presque un programme de changement en actes. Cela constitue un facteur d’espoir et de mobilisation et nous donne aussi confiance dans notre capacité à changer la société.

La construction d’alternatives locales et la mise en réseau sont essentielles. Pour certains, elle constitue l’acte 2 dans l’évolution des gilets jaunes. Il apparaît que le changement de système s’appuie sur 3 pieds :

– le mouvement social et les luttes,

– la multiplication des alternatives locales qui transforment dès à présent la société.

– la transformation des institutions, des lois et le retour de l’action publique.

Ces 3 dimensions  sont nécessaires et doivent se conjuguer. En particulier, la multiplication des alternatives locales n’est pas suffisante pour changer de système, ce qui est la question fondamentale, mais elle est indispensable pour donner espoir et faire bouger les choses.

Quel changement de système ?

Les interrogations ont été nombreuses sur le sens de l’action commune. Comment articuler l’urgence sociale et écologique avec un changement de société qui demande un temps long ? Quel rapport entre les actions locales et le changement de système ? Quelles stratégies sont possibles pour changer les institutions ? Comment promouvoir un monde plus humain face à la violence institutionnelle ?

Deux conférences avaient pour but d’apporter un éclairage sur « quel changement de cap », par Henri Sterdyniak, et sur « l’analyse du COVID comme révélateur du délabrement de notre système de santé » par Laurent Muchielli. Une quarantaine de personnes de la région se sont jointes aux participants des Rencontres pour ces conférences, qui pour l’essentiel ont confirmé et affermi les analyses des participants. Mais le séminaire n’a pas permis comme l’aurait fait une université d’été d’approfondir toutes les questions que les participants se posent. On a davantage défini un cadre général et la façon dont le collectif peut se situer par rapport au débat collectif. Ce séminaire est un point de départ et non un point d’arrivée.

L’importance du retour de la confiance

Enfin, les participants ont souhaité qu’on réfléchisse pour savoir comment élargir la mobilisation et redonner confiance, notamment ceux qui ne votent pas, dans une action collective reposant sur la participation citoyenne et l’éducation populaire. Ce retour de la confiance passe par le succès d’actions locales partagées, même modestes, et par un travail d’écoute des besoins fondamentaux de chacun, notamment des jeunes, des habitants des quartiers et des minorités pour y répondre.

Il a été souhaité que le collectif approfondisse les méthodes qui permettent de retrouver une participation citoyenne de la majorité de la population dans la durée, en s’appuyant sur les pratiques d’un certain nombre de territoires. On constate en effet que parfois certains groupes se rétrécissent progressivement à de petits îlots de mobilisation qui se coupent de la population et ont tendance à se scléroser.

Comment orienter l’action du collectif ?

Face à ces immenses besoins, le collectif doit se fixer des priorités. C’est une petite structure, sans permanent ni moyens financiers, dont l’action repose sur la conviction et le travail bénévole de chacun. Comme dans une auberge espagnole, chacun y trouve ce qu’il y apporte. . En particulier il ne peut pas vouloir faire ce que d’autres structures ou collectifs font mieux que lui[1], mais doit se centrer sur ce pour quoi il est le mieux placé. Dans cette optique, 4 axes de travail se sont dégagés :

Élargir le réseau des correspondants, constituer des réseaux d’entraide

Le réseau d’une centaine de correspondants qui s’était mis en place s’est quelque peu distendu avec le confinement. La mise en place d’une petite équipe chargée de retisser les liens a été amorcée lors du séminaire. Par rapport à cette mise en réseau, l’attente des participants est de savoir, face à l’évolution des situations et des mobilisations sociales, comment ça se passe ailleurs, que ce soit à Marseille, dans des petites villes où des territoires ruraux. C’est aussi de voir comment les collectifs locaux évoluent, vivent et parfois disparaissent, quels sont les liens qui s’établissent avec les collectivités citoyennes qui se sont mises en place, quelles sont les luttes, les actions alternatives et le travail d’éducation populaire menée sur le terrain.

Le séminaire a également montré que certains militants sont isolés et se battent seuls. Beaucoup d’initiatives locales marchent avec quelques personnes. Le collectif doit les accompagner pour entretenir l’enthousiasme, leur montrer qu’elles ne sont pas seules et développer des réseaux d’échanges et d’entraide.

L’objectif de cette mise en réseau est aussi de s’élargir au-delà des militants expérimentés pour aller vers le plus grand nombre, avec une diversification entre les générations, une diversification sociale (en faisant le lien avec les quartiers populaires) et un objectif de conscientisation afin d’élargir le cercle des convaincus.

Mutualiser les actions locales

Les échanges autour des pratiques ont constitué pendant le séminaire un moment important. « Ça me donne des énergies, ça me fait vivre de rencontrer des gens qui réalisent des choses formidables ». Pour les participants, la mutualisation des actions locales est une des principales valeurs ajoutées du collectif.

Environ 200 actions locales porteuses d’alternatives sont déjà répertoriées sur le site. Plusieurs dizaines d’autres ont été repérées mais non décrites. Ces actions sont très diverses : reconstruction écologique, auto organisation et participation citoyenne, solidarité, territoires autogérés, aménagement du territoire pour vivre et travailler au pays, média, éducation et sports, économie solidaire, agriculture et alimentation, santé et bien-être, droits et contre les discriminations, international, arts et culture (voir ici, colonne de gauche)

L’objectif n’est pas de recenser toutes les actions porteuses d’alternatives[2], mais les pistes, les idées d’actions possibles, avec des exemples qui montrent comment c’est déjà réalisé et donnent envie d’agir. Les participants souhaitent que ce travail soit poursuivi, en le complétant par des éléments de méthodes et des informations sur « à qui s’adresser ? ».

Ces actions sont aussi porteuses de formation et d’éducation populaire. Il est nécessaire de mieux expliciter la portée globale des actions, même petites, et de montrer que toutes ensemble elles tracent les contours d’un changement de système.

Une petite équipe se met en place pour valider les expériences à mettre sur le site, rédiger de nouveaux résumés, expliciter la dimension politique des 200 actions déjà répertoriées.

Contribuer à un travail d’éducation populaire, créer des groupes d’échanges

Le séminaire a montré comment on peut partager des choses et parler du fond à partir du concret. Mais un travail plus approfondi est nécessaire pour approfondir des sujets qu’on a parfois seulement effleuré. D’où 3 propositions :

organiser des réflexions communes autour d’un groupe d’expériences et d’actions (par exemple les porteurs d’expériences de transition énergétique auto organisées au niveau local, comment agir ensemble face à la multiplication des précarités et du chômage ?) pour dégager en 2 ou 3 réunions leur portée politique, voire philosophique et anthropologique, préciser à partir de l’expérience des acteurs leurs conditions de réussite, créer un réseau d’échanges et de soutien mutuel.

constituer des groupes d’échanges, thématiques ou transversaux, afin de parler du fond en faisant le lien avec les actions concrètes. De nombreuses questions transversales ont été proposées : comment concilier l’urgence sociale et écologique et politique et le changement de société qui demande un temps long ? Quel rapport entre les actions locales et le changement de système ? Comment changer réellement les institutions, aller vers une nouvelle Constitution ? Quelles conceptions de l’humain, de l’éthique, des rapports sociaux sont en jeu dans les combats politiques actuels et à venir ? Comment concilier les revendications identitaires et l’universalisme ? Comment faire face un accroissement exponentiel des inégalités, de la pauvreté de la misère ? Mais aussi beaucoup de questions thématiques sur la justice, l’énergie,  le travail, etc. qui rejoignent le recensement des propositions réalisé au printemps par le collectif.

Par rapport à ces questions, le collectif a la volonté d’être une interface pour favoriser la réflexion autour des questions faisant débat, sans faire le travail à la place des autres. Le but est de débattre de quelques questions de fond pour permettre à chacun de se faire sa propre opinion en se dégageant des enjeux tactiques.

disposer d’un répertoire de méthodes permettant d’élargir la mobilisation et d’entretenir la participation citoyenne dans la durée. Il est également possible de rendre disponibles les méthodes d’animation et les savoir-faire pratiques éprouvés par les associations d’éducation populaire depuis des décennies.

Ces chantiers se mettront en place s’il y a des personnes pour les animer. Ces groupes de travail peuvent se réunir à distance par Zoom, mais rien ne remplace les rencontres réelles.

Organiser la mise en réseau, les rencontres et les liens

Élargir le collectif. Le collectif est actuellement en lien avec 13 000 contacts, une centaine de correspondants et une quinzaine d’organisations nationales et de collectifs. Ces liens sont établis avec de nombreux groupes de gilets jaunes, des collectifs citoyens locaux, des associations citoyennes. Jusqu’ici, ces liens se sont établis à l’occasion de rencontres auxquelles le collectif a participé, des ADA et des messages adressés au collectif. Il s’agit aujourd’hui d’organiser cette mise en réseau et de l’équilibrer en élargissant le collectif en direction des jeunes, des femmes, des quartiers.

Pour ce faire, le collectif dispose de 3 outils de communication : la lettre, diffusé à 13 000 contacts, la page Facebook, dont certains articles sont vus par 15 000 personnes, le site est visité par une centaine de personnes chaque jour. Les commentaires sont plutôt positifs, mais ces outils sont nourris par une ou deux personnes. Il serait souhaitable de constituer des petites équipes pour y travailler, composés de personnes disposant d’une connaissance du terrain et d’un bon discernement politique.

Développer les liens avec les autres collectifs nationaux, pour faire connaître l’évolution de la mobilisation sur le terrain, les expériences, en montrant que les enjeux globaux ne sont pas à côté des actions terrain mais en leur sein. Il est prévu de reprendre des rencontres régulières que Changer de cap organisait tous les 3 mois avec les mouvements citoyens, en les élargissant au des collectifs nationaux, pour dire ce que nous faisons, échanger, favoriser les liens. Le collectif relaye déjà des informations émanant des différents collectifs dans sa lettre. En outre, certains membres de Changer de cap participent également à différents collectifs (se fédérer, CNNR, Ensemble tout est possible, Plus jamais ça, Ensemble tout est possible, etc.) et peuvent y relayer les informations du collectif, même s’ils s’y expriment le plus souvent en leur nom propre.

Participer aux rassemblements et manifestations. Par exemple, le collectif participera aux deuxièmes rencontres organisées par Convergence citoyenne sud à Avignon le 24 octobre prochain et incitera tous ses membres à y participer massivement (et à y tenir des stands). De même, le collectif a participé à toutes les ADA depuis celle de Saint-Nazaire. Ces participations sont essentielles pour renouveler les liens, évaluer l’évolution des actions et des mobilisations sur le terrain.

En conclusion, faire d’autres rencontres participatives du collectif.

Au total, ce séminaire avait pour but de réfléchir avec ses membres engagés sur le terrain aux orientations et aux priorités du collectif. On peut dire que ces objectifs ont été atteints, même si beaucoup de travail reste à faire. Tout repose sur la mobilisation d’un nombre plus important de bénévoles. Le collectif veut rester une petite structure horizontale au service des actions de terrain.

Des week-ends comme celui-là sont très importants, avec des ateliers d’une dizaine de personnes qui permettent de beaucoup mieux échanger que dans des grands groupes où ce sont les plus aguerris qui parlent. Tous les participants sont conscients de la nécessité de s’organiser en réseau pour faire essaimer les bonnes idées, se soutenir mutuellement et réfléchir ensemble sur le fond sans mettre en avant les considérations tactiques ou les ambitions. L’hétérogénéité des participants, comme en pédagogie, est un atout irremplaçable. Et surtout, le climat de fraternité et de confiance réciproque est essentiel pour aborder toutes les questions. Tous ont souhaité renouveler ces rencontres dans d’autres régions, avec plus de participants et une préparation plus longue.

[1] Il ne s’agit pas de constituer un 26e collectif de coordination s’ajoutant aux 25 qui se sont créés récemment, voire qui voudrait les remplacer et constituer l’amorce d’un parti politique en déterminant des positions sur tous les problèmes importants du moment

[2] Il y en a certainement des centaines de milliers

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Voir ici les CR d’ateliers

Voir ici l’exposé de Henri Sterdyniak Après le COVID, quelques réflexions…

Voir ici les réflexions de Laurent Mucchielli, qui a produit plus de 15 analyses sur la gestion de la crise sanitaire disponibles sur son blog