Changer de cap

Le choc énergétique qui vient

Résumé de  l’article de Martine Orange, Médiapart du 3 mars 2022

 

Pétrole, gaz, électricité… les prix des énergies en Europe explosent depuis l’invasion de l’Ukraine par la Russie. Pour les économies occidentales, c’est le chaos. Déjà, Avant la guerre en Ukraine.La sortie de deux ans de crise sanitaire provoquée par le Covid-19, doublée par une flambée des prix de l’énergie depuis l’été, a fait renaître des poussées inflationnistes inconnues depuis plus de 30 ans. En février, les prix ont augmenté de 5,8 % dans la zone euro, de 4,5 % en France, selon les statistiques publiées le 2 mars. Selon des estimations publiées ces derniers jours, l’Europe pourrait connaître une inflation égale ou supérieure à 5 % tout au long de 2022.

Pétrole : nouveau choc en cours

Depuis l’invasion de l’Ukraine, le cours du pétrole, a augmenté de plus de 30 % . A la pompe, l’essence est au minimum à 2,10 euros le litre. Le gouvernement a annoncé une aide de 0,15 € par litre, mais à l’évidence cela est totalement insuffisant.

 L’hypothèse selon laquelle les flux d’exportations pétrolières et gazières russes continueront d’être à l’écart des sanctions prises par la Russie est devenue beaucoup moins tenable.  Les ruptures dans les livraisons de gaz et de pétrole semblent de plus en plus inévitables. Or la Russie est le deuxième producteur mondial de pétrole après les États-Unis, avant l’Arabie saoudite. Elle extrait 10 % de la production mondiale. L’Arabie saoudite et les Émirats arabes ont défini depuis 2 ans une nouvelle stratégie : les prix plutôt que les volumes. L’envolée actuelle des prix pétroliers ne peut que les satisfaire : après avoir connu sept ans de chute (2013-2020), leurs revenus pétroliers ont plus que triplé en 2021.

Les producteurs américains ne se précipitent pas, car l’heure est à la revanche. Critiqués pour leur inaction contre les dérèglements climatiques, leur rôle dans les pollutions diverses, les groupes pétroliers ont bien l’intention de profiter de ce nouveau rapport de force pour revenir sur nombre de mesures prises pour encadrer leur activité.  Si le monde veut du pétrole, rajoutent-ils, il doit accepter de supprimer les contraintes qui leur ont été imposées. Compte tenu des tensions qui existent sur les marchés pétroliers et des risques qui planent sur l’économie mondiale, il y a tout à craindre pour les politiques de transition énergétique dans les mois à venir.

Beaucoup renoncent à produire, se chauffer, se déplacer

Avec des prix dix fois supérieurs à la normale, la contrainte exercée par cette flambée des prix de toutes les énergies (pétrole, gaz, électricité) sur les ménages, les entreprises, l’économie tout entière, va bientôt se révéler insupportable, amenant les uns et les autres à de nombreux renoncements – produire, se chauffer, se déplacer. Avant même le début de la guerre en Ukraine, des entreprises d’aluminium, de papier, d’engrais chimiques avaient déjà renoncé à certaines productions, estimant impossible de faire face à une telle hausse de leurs coûts de production.

Gaz : le piège de la dépendance totale de  l’Europe

Ce qui se passe sur les marchés pétroliers n’est rien par rapport aux marchés gaziers. La Russie est le premier fournisseur gazier mondial. À elle seule, elle fournit 40 % de la consommation gazière en Europe. Cela peut atteindre 100 % pour des pays comme l’Autriche, 60 % en Allemagne, un peu plus de 50 % pour l’Italie.

Le gaz russe continue d’arriver en Europe. Depuis une semaine, les Européens en ont même jamais autant acheté : la facture s’élève à 700 millions de dollars par jour, selon les calculs de Bloomberg. Les négociants de gaz russe cependant redoutent une interruption des livraisons à tout moment, soit pour des problèmes financiers en raison de l’exclusion des banques russes du système Swift, soit par décision de Vladimir Poutine de tout arrêter, soit à cause d’éventuelles destructions des infrastructures gazières en Ukraine. Le prix du gaz a augmenté de 60 % le 3 mars Par effet de contagion, le prix de l’électricité en Europe – établi sur le coût marginal du gaz – flambe à son tour : il oscille entre 300 et 500 euros le MWh.

« Il faudra au moins cinq ans pour que l’Europe sorte de la dépendance du gaz russe », prévient une étude de la Banque mondiale. En attendant, chacun essaie de faire feu de tout bois. À défaut de trouver d’autres sources d’approvisionnement gazières, l’Allemagne et les pays de l’Europe centrale remettent en route leurs vieilles centrales à charbon. Les achats de charbon polonais n’ont jamais été aussi élevés depuis des années. En trois jours, les prix ont plus que doublé, passant de 200 à 435 dollars la tonne. Et toutes les belles promesses de lutte contre les dérèglements climatiques sont brusquement renvoyées aux calendes grecques.

Le coût exorbitant du refus idéologique de tout choix stratégique

Malgré tous les avertissements, l’Europe se retrouve prise au piège savamment calculé et anticipé par Vladimir Poutine. En dépit de grandes déclarations sur le climat, elle reste totalement dépendante d’une économie totalement carbonée bâtie sur des prix de l’énergie le plus bas possibles

Par aveuglement idéologique et par incurie, elle s’est refusée depuis des décennies à penser en termes de sécurité et de stratégie énergétiques. Comme elle a renoncé à toute planification de la transition énergétique afin d’offrir un cadre et des objectifs clairs et prévisibles pour tous les acteurs. Elle s’est persuadée que la bienheureuse « main invisible » du marché serait la plus à même de satisfaire à la fois les besoins immédiats au meilleur prix et de définir les meilleures stratégies pour l’avenir. Cette dernière s’avère désormais n’être capable de faire ni l’un ni l’autre, laissant les populations européennes démunies, exposées à tous les vents de l’histoire. La facture de ces erreurs risque d’être exorbitante.

Par exemple, l’Allemagne a ainsi soudain découvert qu’elle n’avait pratiquement aucune capacité de stockage disponible – la plupart ont été fermées au cours de ces quinze dernières années au nom de la bonne gestion. Surtout, elle n’a aucun port méthanier. Olaf Scholz s’est engagé à construire un port méthanier d’ici trois ans.

À cela s’ajoute le manque criant de moyens de transports, d’infrastructures gazières pour acheter du gaz ailleurs. Même si quelques bateaux sont détournés pour venir livrer du gaz de schiste américain en Europe, le nombre de méthaniers susceptibles d’acheminer du GNL est insuffisant pour compenser ne serait-ce que partiellement les livraisons de gaz russe. De même, en dehors de l’Espagne et de la France, aucun autre pays européen n’a les capacités portuaires et les capacités de stockage suffisantes pour accueillir de larges cargaisons de GNL.

C’est pourquoi la nécessité d’une planification écologique et énergétique mais jamais été aussi évidente pour reconstruire une stratégie digne de ce nom. Mais d’ici là le pire est à craindre