Article du Monde : "Les bénéficiaires du RSA dans l'enfer des contrôles"
Article du Monde : “Les bénéficiaires du RSA dans l’enfer des contrôles”,Isabelle Rey Lefebvre 21 février 2021.
Cet article se découpe en deux temps. D’une part, Isabelle Rey Lefebvre a mené sa petite enquête. En discutant avec plusieurs allocataires, elle constate que, sur fond de consensus politique, la CAF s’arroge le droit de traquer les fraudeurs (ou potentiels fraudeurs). La “dimension industrielle” de cette chasse est notamment permise par les progrès du “Big Data”. La CAF a ainsi accès aux comptes bancaires, aux fichiers du fisc, à ceux de Pôle Emploi etc. L’interconnexion des fichiers c’est aujourd’hui, la possibilité d’effectuer des contrôles en masse : 32,25 millions de contrôles automatisés en 2020. Les contrôles sont, selon la journaliste, vécus comme une “suspicion obstinée et irréfutable”. Les témoignages recueillis sont consternants. Une femme évoque ses pensées suicidaires : “je vis un calvaire administratif sans précédent (…) et, à 58 ans, c’est épuisant, déprimant et cela pousse au suicide !”. D’autre part, l’article livre un entretien passionnant avec le sociologue Vincent Dubois, notamment connu pour Contrôler les assistés. Genèses et usages d’un mot d’ordre. Pour le scientifique, si le RSA cristallise les débats sur la fraude sociale c’est parce que les discours politiques dénonçant l’assistanat se sont construit sur des représentations morales fondées sur la “valeur travail” et sur la “trappe à inactivité”. Loin d’être une exception française moderne, le contrôle d’une population “fraudogène” se fait selon “des chronologies et des modalités variables”. Par ailleurs, la stigmatisation de “l’assisté” et son écho permanent dans le débat public s’expliquent selon Vincent Dubois par le développement des prestations sociales soumis à des conditions évolutives, à la rhétorique politique promouvant la “fraude sociale”, et à la montée en puissance du New Public Management.
Entre excuse sociologique et responsabilité individuelle. La rhétorique politique “anti-fraude sociale” est profondément inhérente aux mutations idéologiques néolibérales. La nouvelle doxa punitive balaye les explications sociologiques pour y substituer un discours viriliste de la droiture et de la responsabilité individuelle. La misère et le désengagement économique de notre Etat social a laissé la place à une supercherie politique visant à soumettre et punir durablement les plus pauvres. Le déploiement du bras droit de l’Etat ne sert qu’à invisibiliser les problèmes et mettre au pas une population dite marginale qui ne voudrait pas se soumettre à la logique globale. En bref, une seule expression demeure : PUNIR LES PAUVRES.
Article de Médiapart :"RSA : le scandale du non-recours"
Article de Médiapart : “RSA :le scandale du non-recours”, Faïza Zerouala, 14 février 2022.
L’article met en lumière les chiffres ahurissants des économies de l’Etat faite sur la non-perception du RSA : 750 millions d’euros à chaque trimestre, soit environ 3 milliards d’euros par an. Loin de l’imaginaire habituelle du fraudeur convoquée par les idéologues néo-libéraux, l’auteur recentre son analyse autour du dernier rapport de la Drees établissant qu’un tiers des foyers éligibles aux RSA ne le réclament pas (34% des foyers). Les foyers se privent donc d’environ 330 euros par mois en moyenne.
Mais alors pourquoi les foyers ne le demandent pas ?
Plusieurs réponses sont avancées. Tout d’abord, il existe une violence symbolique liée à l’allocation sociale. Le RSA, tout particulièrement, est associé à un effet de stigmate. Les freins sont à la fois sociaux et psychologiques car ils sont profondément liés aux représentations et aux dogmes politiques en place. Deuxièmement, selon la Cour des comptes, rejoint par la Dress sur ce point, le manque d’information et la complexité des conditions d’accès et des règles de gestion, sont autant de barrières à l’accès des droits sociaux.
Enrichissant son propos par les interventions de Vincent Dubois (sociologue spécialiste de la question), Nadia Okbani (maîtresse de conférences en science politique à l’université de Toulouse Jean-Jaurès) ou même Antoine Rode (chargé de recherche à l’Observatoire des non-recours aux droits et aux services), Faïza Zerouala fournit des éléments d’analyse devant l’étendue d’un problème structurel : le non recours aux droits.
Saluons le travail de Médiapart et le rapport de la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques éclairant la zone d’ombre problématique du non recours aux droits sociaux.