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Les « Contrats à impact », une nouvelle tentative pour s’emparer de l’ESS, du social et de l’environnement
Le gouvernement a annoncé le 3 mars vouloir relancer les « Contrats à impact », les présentant comme « une innovation qui a fait ses preuves » et a décidé de financer pour 90 millions d’euros une vingtaine de projets « start up nation ».
On peine à discerner les preuves décisives de succès de cette nouvelle catégorie de partenariats public-privé, tant les précédentes tentatives ont été des échecs. Cette opération, menée à grand renfort de publicité, sert à masquer dans l’immédiat l’asphyxie croissante et délibérée de l’économie solidaire et des actions associatives d’intérêt général, qui se chiffrent en milliards d’euros chaque année, à comparer aux 90 millions d’euros annoncés.
Mais elle prend aussi sa place dans la bataille d’idées pour faire prévaloir la start up nation, et traduit la volonté des investisseurs de « faire de la valeur » avec les actions associatives et l’économie solidaire, qui représentent 8 % de l’activité économique et 10 % de l’emploi en France.
Autrement dit, il ne faut pas sous-estimer la volonté pour le capital de s’emparer des secteurs sociaux et environnementaux qui lui échappent encore.
En 2016, la mobilisation a été efficace car elle a fait prendre conscience à des milliers d’associations de la réalité d’une gigantesque opération d’esbroufe. Aujourd’hui, malgré les conditions difficiles de la crise sanitaire et économique, il est tout à fait possible de faire passer un message similaire. C’est ce que notre Collectif essaiera de faire dans les prochaines semaines

Qu’est-ce qu’un « contrat à impact » ?
Un contrat à impact est un mode de financement d’actions jugées indispensables par la puissance publique, quand celle-ci ne dispose pas des moyens de les financer directement.
Ce ne sont rien d’autre que des partenariats public-privé, que le Sénat a dénoncé comme « des bombes à retardement budgétaires » (voir ici). Comme pour les concessions d’autoroutes, la puissance publique délègue à un investisseur privé la gestion d’une action sociale, environnementale ou sécuritaire, ce dernier s’engageant sur les objectifs à atteindre.
Ces objectifs sont définis « conjointement » entre l’investisseur et la collectivité par contrat. Si les objectifs ne sont pas atteints, le financeur peut ne pas être remboursé. Pour le financier, il s’agit d’un investissement qui implique une rémunération du risque et une rentabilité « normale » (donc souvent supérieure à 10 %).
L’investisseur se tourne alors vers une association ou une entreprise pour lui « proposer » de réaliser l’action en lui imposant des objectifs, des méthodes à utiliser et des critères d’évaluation. Le financeur lui fournit le plus souvent un directeur de projet chargé de suivre l’évolution de son investissement.
Le travail de l’association est évalué par un bureau de consultants privé (souvent le bureau de consultants est lui même évalué pat un autre bureau de consultant !).
Si les objectifs fixés au départ sont atteints la collectivité rembourse le capital investi avec une « rémunération » qui varie, selon les contrats, entre 6 % et 14 %. Les intermédiaires (banques, bureaux de consultants…) sont également rémunérés par la puissance publique sur le travail de l’opérateur, qui est le seul à ne pas avoir de retour financier. Le coût pour la collectivité est donc bien supérieur au coût réel.
L’association est ainsi réduite au même type de travail qu’un éleveur de poulets de batterie sous contrat avec une firme d’aliments du bétail ou un livreur d’Uber : elle travaille à façon pour le compte d’un investisseur, sans aucune liberté, mais en assumant les risques.
En 2016, la première tentative de lancement a été un échec dès lors que les associations ont compris ce qui les attendait. Au Royaume-Uni, les seuls SIB viables sont ceux dont le travail dans les associations est effectué par des bénévoles, c’est à dire par du travail gratuit car il est impossible dans le domaine social ou environnementale de dégager des marges suffisantes pour rémunérer les intermédiaires et satisfaire les actionnaires de départ, qui sont dans la quasi totalité des cas des banques ou des organismes financiers.
Si les objectifs ne sont pas atteints, le capital n’est pas remboursé, ou s’ils ne le sont que partiellement la rémunération est proportionnelle aux résultats. Dans les faits, compte tenu du système de fixation des objectifs, ils sont quasiment toujours atteints (un seul cas à New-York ou le capital n’a pas été remboursé).
C’est bien la puissance publique qui assure le financement et les risques, et non les investisseurs comme ne cessent de l’affirmer les thuriféraires des SIB/CIS.
Par une sorte de martingale qui s’apparente à un système de Ponzi, la puissance publique est amenée à consacrer une part croissante de ses ressources, par ailleurs stagnantes ou en régression, au remboursement des contrats échus, quitte à emprunter encore plus pour les contrats à venir.
Principales étapes
En 2013, le G7 (USA, Japon, Allemagne, France, Royaume-Uni, Italie, Canada) met en place un groupe de travail afin de généraliser des expériences de « Social Impact Bonds » (SIB) inventés au Royaume-Uni et développés dans les pays anglo-saxons.
En 2014, Hugues Sibille, représentant de la France dans le groupe de travail du G7, remet au gouvernement un rapport et des propositions pour la France. Le Collectif des associations citoyennes, la FNARS, de nombreux réseaux associatifs dénoncent la supercherie. Plusieurs institutions dont l’OCDE expriment leurs doutes sur la viabilité de ces contrats aux vu des « performances » négatives des expériences dans les pays anglo-saxons.
Entre 2017 et 2020, quatre Contrats à impact social (CIS) quatre projets sont lancés entre 2017 et 2020, mais le contenu des contrats reste secret. Dans cette période, les gouvernements mettent en place des fondations, des montages financiers avec les banques privées et la Caisse des dépôts et le programme « French Impact » pour tenter de lancer des CIS, toujours sans grand succès.
En juillet 2019, le gouvernement, prend l’initiative du « premier Sommet PACT FOR IMPACT » en réunissant en grande pompe à Paris 450 participants de 50 pays, afin « de mettre l’innovation sociale et environnementale au cœur de l’agenda politique international pour soutenir des Objectifs de développement durable (ODD) ». On est au cœur du projet de Start up nation.
En mars 2021, Malgré l’échec de la première vague de CIS de 2017/2020, le gouvernement relance, obstiné, espérant faire pression sur les associations en asséchant leurs subventions. La ministre de la Transition l’écologique, lance un appel à projets pour un montant de 27,3 millions d’€. Huit projets sont retenus, la plupart à orientation business ; Parmi eux, la Fédération Léo Lagrange, Toopy Organic SAS, une start-up qui valorise les urines humaines (ça ne s’invente pas !), Label Vie, portée par la fédération française des crèches privées, qui développent une grande agressivité commerciale face aux crèches parentales. Le ministère des Finances et celui de l’Emploi annoncent vouloir lancer leurs propres appels à projets, mais rien n’est encore sorti (voir ici le communiqué).
En avril 2021, PACT FOR IMPACT, se dote d’une « feuille de route » pour « œuvrer pour le développement de l’ESS au plan international » ; inspirer les institutions publiques locales, nationales, internationales pour soutenir l’ESS ; se structurer pour pérenniser PACT FOR IMPACT. Ce faisant le gouvernement français (le secrétariat chargé de l’ESS) se prend pour l’ONU.
Voir ici le dossier du Collectif des Associations Citoyennes