Changer de cap

Territoires urbains et désindustrialisés

Les expériences locales

35 ans de démocratie directe à Colombey-les-Belles

Dans les années 1980, une dynamique locale s’est développée au sein de la communauté de communes de Colombey les Belles (Meurthe-et-Moselle) pour répondre aux conséquences de la désindustrialisation de la Lorraine, et en particulier à la fermeture de la cristallerie Daum, à Vannes le Châtel. Sous l’impulsion d’une équipe d’élus restés militants, animée par Michel Dinet, avec une attitude d’écoute de la population, d’éducation citoyenne et de réactivité face à l’événement. Un projet d’ensemble a été élaboré de façon partagée à partir d’un diagnostic des forces et faiblesses du territoire, projet à la fois économique, social, culturel et environnemental. Il a été régulièrement renouvelé par la concertation.

Les élus ont organisé une participation active des habitants pour préparer les décisions, et se sont engagés à travailler sur proposition des instances participatives (commissions et assemblée générale de pays), même si la structure statutaire, conseil et bureau communautaires, prend ses décisions comme tout conseil communautaire.

Les orientations sont préparées par des commissions permanentes et des groupes de travail où peut rentrer tout citoyen et tout responsable associatif qui le désire. La seule condition pour y rester est de participer activement aux travaux. Chaque groupe de travail, dont la durée de vie est limitée dans le temps, est rattaché à une commission. Il existe aujourd’hui cinq commissions, une par pôle de compétence : Développement social et solidarité, Développement économique et touristique, Habitat et cadre de vie, Culture et jeunesse, Moyens Généraux et coordination générale du projet.

Une assemblée générale de pays est chargée de proposer les grandes orientations, de délibérer sur des programmes annuels d’actions et les évolutions de la structure intercommunale. Elle est composée, des délégués des communes et tous les citoyens qui participent régulièrement à l’une des commissions de travail ouvertes à tous. Celle-ci vote à bulletin secret, élus et citoyens ayant chacun une voix.

Cette expérience montre qu’il est possible d’entretenir dans la durée une dynamique territoriale associant largement la population, les associations et les citoyens. Grâce à une attitude d’écoute et de partage du pouvoir de la part des élus, une volonté d’éducation citoyenne et une réactivité face à l’événement, il a été possible de se doter d’une organisation efficace et transparente et de former une nouvelle génération de responsables. Elle montre aussi que, comme les « économies monde », les dynamiques locales connaissent des évolutions dans la longue durée.

Une démarche de territoire zéro chômeurs s’est mise en place en s’appuyant sur cette culture. Ce territoire est l’un des 10 premiers expérimentés en France. Il est trop tôt pour en faire un bilan, mais elle relève de la même dynamique participative.

54170 COLOMBEY-LES-BELLES – N° 55 – 2017

Pour en savoir plus

L’histoire de Colombey-les-Belles est relatée a été relatée en 2018 par Toulois Magazine.

Voir ici : Toulois magazine – Un Village, Une Histoire – L’histoire de Colombey-les-Belles | Facebook

Vidéo : une caserne de pompiers en bois et en paille

L'Après-M de Marseille, avec la mobilisation à l'échelle du quartier

En février 2020, les salariés licenciés de l’ancien McDo Saint-Barthélemy, dans les quartiers nord de Marseille, placé en liquidation judiciaire, ont réquisitionné les locaux inutilisés pour distribuer les dizaines de milliers de colis alimentaires et de kits d’hygiène, préparés et distribués par des dizaines de collectifs et associations du quartier alentour, sans aucune aide publique.

Quand les salariés ont été menacés d’expulsion, c’est tout le quartier qui s’est soulevé pour les soutenir, avec une manifestation rassemblant plusieurs centaines de personnes. « L’erreur  stratégique » de McDo avait été de recruter sur place des enfants du quartier. Après bien des péripéties, la nouvelle mairie socialiste et écologiste a accepté, devant la pression populaire, de racheter le local et de le rétrocéder au collectif animé par Fahti Bouaoura. Entre-temps, le lieu s’était diversifié pour devenir un endroit vibrant de solidarité, avec de multiples activités, des actions pédagogiques, des ruches sur le toit, etc.

Un appel à contribution, couronné de succès, a été lancé pour constituer La SCIC de l’Après M, coopérative de restauration économique et sociale, qui va prendre la suite de la plateforme d’entraide. Cette coopérative sera animée, dirigée et développée par d’anciens salariés du Mac Do, des habitants, des représentants d’associations d’entraide, des fournisseurs partenaires, des institutions publiques et privées.

Le restaurant solidaire doit ouvrir ses portes pendant l’été 2022. Il permettra de créer un lieu de restauration solidaire, de formation et d’insertion pour les personnes les plus éloignés de monde du travail et de créer du restaurant social.

Mais au-delà de cette activité, une agora d’entraide citoyenne rendra pérenne les nombreuses actions de solidarité : distribution alimentaire, maraude, jardins nourriciers, « uber » solidaire… Dans cet espace, il y a des ordinateurs, des jouets, des livres, des gens qui viennent se réunir et se rencontrer, des associations qui se créent, des rêves qui s’élaborent et se concrétisent.

 « Notre seul héritage, c’est la précarité. Mais cette précarité, nous entendons la faire fructifier  en dignité, en formation, en solidarité, en activité sociale et économique. Nous sommes créateurs de richesses, économiques et sociales. Dans un monde balkanisé par l’hyper-individualisme, nous faisons œuvre de pédagogie en réactualisant le partage, la valeur humaine, le lien social, le soin, le complexe ».

13014 MARSEILLE – N° 427 – 2022

"Notre utopie est devenue réalité"

Suivez l’Après M au quotidien sur Facebook :

https://www.facebook.com/lapres.m/

Kingersheim, ou la démocratie-construction au quotidien

Depuis 30 ans, une démarche de démocratie participative est développée à Kingersheim, ville industrielle du bassin potassique proche de Mulhouse, par une équipe municipale désireuse de partager le pouvoir avec l’ensemble des citoyens.

Il ne s’agit pas de mettre en relation des élus magiciens et des habitants consommateurs, mais de cheminer ensemble en faisant des diagnostics partagés, en passant du « je » au « nous ». Il ne s’agit pas non plus de démocratie directe où toutes les décisions seraient prises par des assemblées générales, mais d’une démocratie-construction, c’est-à-dire d’une démarche de préparation collective, les décisions restant prises par le conseil municipal.

Des États Généraux Permanents de la Démocratie (EGPD) ont été lancés en 2004 avec une philosophie qui imprègne toute la vie démocratique kingersheimoise : « agir avec » et non « agir pour », construire en permanence la démocratie en suscitant la participation. Il se sont poursuivis jusqu’à aujourd’hui, et ont suscité de nombreuses initiatives en s’appuyant sur une série d’outils :

  • Des conseils participatifs sont créés chaque fois qu’un projet est mis à l’agenda de l’action municipale à l’initiative de la Ville ou des habitants. Ils comprennent 3 collèges : des habitants, volontaires et tirés au sort, des élus, majoritaires et minoritaires (si la minorité l’accepte), des experts (internes ou externes), des organisations (syndicats, associations, entrepreneurs). Ces conseils ont un début et une fin.
  • Des équipes-projets qui préparent chaque segment démocratique. Elles sont constituées d’un porteur politique, d’un porteur technique de la mairie et d’habitants volontaires, souvent formés, appelés les agor’acteurs. Cela représente une soixantaine de citoyens engagés.
  • Des rencontres de quartier, où les participants sont invités à remplir un cahier de doléances (ce qui ne va pas dans le quartier, dans la ville) et à proposer des solutions.
  • Une maison de la citoyenneté, depuis 2006, est dédiée à ces pratiques démocratiques. Ce n’est ni la maison du maire, ni la maison des associations, mais la maison des citoyens.
  • Une charte de la participation démocratique précise les engagements et l’éthique de la discussion, définit finalités, valeurs et objectifs, détermine ce qui est négociable et ce qui ne l’est pas.

C’est dans cet esprit que de nombreux conseils participatifs se sont réunis lors de ces 15 dernières années. Ils ont traité de questions aussi diverses que le projet de sédentarisation des Manouches, la rénovation de la salle des fêtes, la Maison de la Petite Enfance, le parc des Gravièresle Plan Local d’Urbanisme

68260 KINGERSHEIM – N° 65 – 2022

… Un livre : « Nous avons décidé de décider ensemble »

À l’heure d’achever son dernier mandat, Jo Spiegel, maire de Kingersheim depuis 1989, se retourne sur les trente années de travail réalisé avec ses équipes successives dans cette commune de la banlieue de Mulhouse. Alors qu’il pratique lors de son premier mandat une politique « à l’ancienne », une prise de conscience l’amène à rompre brutalement avec ce modèle où toutes les décisions sont prises dans un entre-soi des élus. Comment redonner un vrai pouvoir d’élaboration et de décision aux habitants ? Comment permettre à chacun d’éprouver sa citoyenneté ? Débute alors la lente construction d’un nouveau paradigme démocratique : la « démocratie-construction », qui s’appuie sur une méthode élaborée patiemment, enrichie au gré de réflexions, de débats et surtout de sa mise à l’épreuve. Kingersheim, lieu d’une fascinante expérimentation, véritable « fabrique de démocratie », est aujourd’hui un modèle dont nombre de municipalités s’inspirent. Récit de cette expérience passionnante, cet ouvrage est une réponse à l’urgence démocratique.

Ungersheim, une commune en transition qui vise l'autonomie

Ungersheim, commune d’Alsace fortement marquée par son passé industriel dans les mines de potasses, est officiellement « en transition » depuis 2005. Le film de Marie Monique Robin « Qu’est-ce qu’on attend » a rendu célébrissime l’exemple cette commune de 2000 habitants. Elle est montrée comme exemple de la transition écologique en France.

Les réalisations et les projets sont le résultat d’une longue évolution qui a commencé avec la reconversion du bassin potassique et s’est poursuivie avec le développement d’une maison des jeunes et de la culture. La dimension écologique, en lien avec la lutte contre la centrale voisine de Fessenheim, s’est traduite par le chauffage solaire de la piscine, la construction d’un important parc photovoltaïque, la reprise de l’eau en régie municipale, un objectif d’autonomie alimentaire « de la graine à l’assiette.

Des commissions participatives ont élaboré en 2014 un programme de « 21 actions pour le XXIe siècle ». La commune vise une autonomie à la fois intellectuelle, alimentaire et énergétique.

L’autonomie intellectuelle : La démarche de « Ungersheim, ville en transition » doit être partagée, collective et en construction perpétuelle (permanente). Dans ce cadre, la commune a mis en place des conseils participatifs où les habitants sont conviés à donner leurs avis sur la gestion de la commune et ses projets. Le village s’engage aussi à développer et promouvoir le commerce équitable. Elle milite pour la sortie du nucléaire et notamment pour la fermeture de la centrale nucléaire de Fessenheim. Elle organise un festival éco-équitable « Bio Ungersheim » et élabore une politique de connaissances et de promotion de la biodiversité par la constitution d’un atlas communal et par la réhabilitation des anciens carreaux miniers.

L’autonomie énergétique : la commune est à l’initiative de la mise en place de la plus grande centrale solaire d’Alsace, dans la perspective de la fin du pétrole bon marché. Elle a en outre retiré tous les produits phytosanitaires et engrais chimiques de la gestion de ses espaces verts et a construit une chaufferie au bois alimentant la plupart des bâtiments communaux … Ungersheim s’engage actuellement dans la mise en place d’un système de mutualisation et de promotion du photovoltaïque domestique.

L’autonomie alimentaire : la commune a mis en place une exploitation maraîchère bio en chantier d’insertion et a élaborée la restauration 100 % bio dans l’accueil enfance depuis 2009.

L’objectif autonomie se traduit par plusieurs projets, rassemblés au sein d’une SCIC (Société Coopérative d’Intérêt Collectif) pour en assurer la pérennité et l’indépendance.:

  • la mise en place d’une monnaie complémentaire locale. Le but est de relocaliser les échanges afin de redynamiser les circuits locaux courts en incluant une dimension éthique de responsabilisation de la consommation des habitants par la mise en place d’une charte de fonctionnement.
  • la création d’une ferme école dont les travaux sont sur le point de débuter
  • la construction d’un éco-hameau destiné à réinterroger par la pratique les modes d’habitations.

Cependant, la transition ne fait pas rêver à tous les habitants. « tout cela coûte très cher, pour le plaisir d’une personne » (Joseph, qui s’occupe du club de foot ). Lne distance s’est progressivement créée entre le maire, porteur de la démarche, et une partie du village. En revanche, les citadins de Mulhouse et même de Colmar viennent chercher les paniers au jardin du Trèfle rouge et investissent dans l’éco hameau. Leur contribution n’est pas pour rien dans la réussite de la petite commune.

L’exemple d’Ungersheim montre qu’il est possible de construire un projet de société plus responsable tant humainement, mais qu’il reste un long chemin à faire pour transformer en profondeur la culture d’une partie de la population.

68190 UNGERSHEIM – N° 244 – 2017

Pour en savoir plus :

Le film et une brochure relatant les 21 actions sur le site de la mairie d’Ungersheim

Un article de Reporterre : « Un village où la transition écologique ne convainc pas tous les habitants »