Lettre n°38 - Mars 2023
Refuser l'inacceptable, cultiver l'espoir et inventer l'avenir
Les semaines qui viennent de s’écouler marquent un tournant. La mobilisation conjointe des syndicats, des forces politiques et de millions de manifestants a infligé une sévère défaite au gouvernement, en l’obligeant à recourir au 49-3, et met un coup d’arrêt à la destruction systématique des solidarités et de l’État social. Celle-ci constitue en effet le fil directeur de la politique poursuivie depuis 2017 par Emmanuel Macron. Dans l’immédiat, les mobilisations vont continuer, les manifestations, blocages et autres actions vont se poursuivre, car la loi est encore loin d’être promulguée. Elle peut être censurée par le Conseil constitutionnel et peut faire l’objet d’un référendum d’initiative partagée. Mais sans attendre ces échéances, l’usage du 49-3 a déclenché de nombreuses manifestations spontanées. Cette indignation traduit une colère, une inquiétude, et un refus de l’inacceptable qui dépassent largement la question des retraites.
La colère s’amplifie contre un pouvoir cynique, dominateur et sûr de lui, fermé à tout dialogue. Beaucoup ont pris conscience ces derniers jours qu’il y a deux poids deux mesures : La réforme de l’assurance-chômage va faire économiser 4 milliards par an, l’enjeu de la réforme des retraites est de 12 milliards, le non-recours entretenu du RSA « économise » 3 milliards par an. Dans le même temps, les aides publiques aux entreprises ont atteint le chiffre stratosphérique de 207 milliards d’euros en 2021. L’objectif n’est donc pas financier, mais politique. On parle de « réduire les « prélèvements obligatoires », c’est-à-dire la part de la richesse nationale qui contribue à l’intérêt général et à la solidarité, afin d’augmenter la part des profits privés. On parle de « restaurer la compétitivité », mais seulement le tiers des bénéfices est affecté à l’investissement, la plus grande part sert à augmenter les dividendes. Les bénéfices nets cumulés des entreprises du CAC 40 en 2022 s’élèvent à 140 milliards d’euros, selon un décompte provisoire de l’AFP. Ainsi, l’action publique est mise au service des intérêts privés, quoi qu’il en coûte pour la population et pour notre avenir.
Le refus de l’inacceptable est lié à l’aggravation de la situation matérielle d’une part croissante de la population, tout particulièrement les classes populaires, en lien avec la montée de l’inflation, due notamment au coût de l’énergie et de l’alimentation. L’inflation en février est de 6,2 % sur 12 mois. Mais elle est de 14 % pour l’énergie, 14,5 % pour l’alimentation, et cela va encore s’empirer. Les chiffres sont des moyennes. Pour les salariés les plus modestes, les chômeurs et les personnes en situation de pauvreté, le poids de l’alimentation et de l’énergie est bien plus élevé.
Plus on est fragile, plus les conséquences de cette inflation sont lourdes et insurmontables. Pour des dizaines de millions de Français, il devient de plus en plus difficile de payer son loyer, de circuler, d’éduquer ses enfants. Bénéficiaires de minima sociaux, travailleurs pauvres, étudiants… : de plus en plus de citoyens ne peuvent plus se nourrir correctement, la fréquentation des Restos du cœur a augmenté de 22 % au dernier trimestre.
Mais l’inacceptable c’est aussi la brutalité accrue d’un gouvernement discrédité et d’un système économique qui a perdu toute légitimité et qui n’a plus que la force pour se maintenir. La violence des forces de l’ordre face aux manifestations spontanées, l’utilisation de la technique de la nasse pourtant interdite par le Conseil d’État, les arrestations sans motif sinon celui de « faire du chiffre » constituent autant d’aveux de faiblesse.
Et tout cela se déroule sur fond d’inquiétude et d’incertitudes. Elles nous viennent de la guerre en Ukraine, de la logique d’affrontements cultivée comme pour nous préparer à une guerre plus large, mais aussi de l’accélération du changement climatique, avec une succession de canicules et de sécheresses hivernales, l’amorce d’une guerre de l’eau en France. Et face à ça, encore et toujours l’inaction climatique du gouvernement. La montée des incertitudes crée un sentiment diffus de fin du monde, tout au moins du monde où nous vivons.