Suivre le blog par Email

entrer vos informations pour recevoir les notifications des nouvelles contributions.

Lettre n°40 - Septembre 2023

Un combat décisif pour faire vivre une humanité solidaire

Cette lettre reparaît après de longs mois d’interruption. La petite équipe qui anime Changer de Cap a connu avant l’été trois mois extrêmement chargés et nous avons fini épuisés. Cette fatigue n’était pas seulement la nôtre, mais celle de nombreux militants avec le combat non abouti contre la réforme des retraites, la succession des catastrophes climatiques, la progression des idées xénophobes.

Après des Rencontres à Cluny très positives, à la fois mobilisatrices et conviviales, notre collectif retrouve la forme et une énergie démultipliées. Ce temps de début juillet a permis de nous recentrer autour de trois grandes orientations :

  • continuer l’action contre la maltraitance institutionnelle,
  • mettre en avant la richesse et la diversité des actions porteuses d’alternatives,
  • soutenir et encourager les collectifs citoyens et syndicats d’habitants.

Maltraitance institutionnelle et loi dite Pour le plein emploi

L’action vis-à-vis des CAF est une action de longue haleine. La Convention d’objectifs et de gestion qui a été entérinée en juillet énonce des intentions qui semblent tenir compte de certaines des orientations proposées par l’appel (commun) signé par 80 organisations au mois d’avril. Mais l’objectif du gouvernement reste la poursuite de la dématérialisation, la réduction des moyens et la déshumanisation, un nouveau durcissement des contrôles et la maltraitance institutionnelle des allocataires les plus vulnérables. Il s’agit bien d’une destruction progressive des missions fondamentales des CAF inscrites dans la Constitution de 1946 selon laquelle « tout être humain qui, en raison de son âge, de son état physique ou mental, de la situation économique, se trouve dans l’incapacité de travailler a le droit d’obtenir de la collectivité des moyens convenables d’existence ». Notre action sur les CAF n’est donc pas terminée, loin de là

Ces atteintes aux droits fondamentaux sont renforcées par le projet de loi dit Pour le plein emploi que le gouvernement fait adopter en urgence par l’Assemblée nationale pour complaire à la droite dure. Le texte prévoit de rassembler au sein d’un futur France Travail les personnes privées d’emploi, les bénéficiaires du RSA, mais aussi des personnes souffrant de handicap et de jeunes suivis par les missions locales. Tous seront inscrits automatiquement sur la liste des demandeurs, qu’ils soient ou non en état de travailler. Pas seulement eux, leurs conjoints aussi. Chacun devra signer un contrat d’engagement imposé, soumis à des contrôles et des sanctions à répétition… pour les « demandeurs d’emploi », mais certainement pas pour les organismes chargés de les suivre, y compris les organismes privés.

Les bénéficiaires du RSA seront donc (notamment) tenus d’accomplir 15 à 20 heures d’activités hebdomadaires sous-payées. L’objectif est double : afficher moins de 5 % de chômeurs en radiant le plus possible et en multipliant les emplois sous-qualifiés et sous payés, augmenter le taux de non-recours pour diminuer le volume des prestations.

Changer de cap a alerté, par une note, les députés de différents groupes pour montrer que cette loi ne peut qu’amplifier les anomalies que nous observons depuis deux ans dans l’action des CAF et a proposé une série de dispositions législatives pour y remédier.

Une bataille culturelle contre la stigmatisation

Le Gouvernement justifie cette politique abjecte en faisant passer les plus vulnérables pour des fraudeurs ou des « découragés ».

Notre enjeu à nous, c’est d’abord de mener une bataille culturelle pour lutter contre la désignation cynique des personnes en situation de précarité et des étrangers, par le pouvoir, par des partis politiques, par des médias et finalement par une partie croissante de la population, pour en faire des boucs émissaires face à l’angoisse sociale. Comme le dit le président de la FAS (Fédération des acteurs de la solidarité), c’est le choix délibéré du chaos face à la solidarité. Quel que soit le dégoût que cela peut nous inspirer, c’est positivement qu’on peut y répondre en montrant que la plupart contribuent de façon indispensable à la société, développe une immense activité pour survivre au quotidien, construit des actions de solidarité… Ce que vient de démontrer le rapport « Un boulot de dingues ».

Nous ne pouvons pas tout attendre du succès d’un travail de plaidoyer, même si celui-ci reste nécessaire.

De l’importance des collectifs d’habitants

La question posée est de savoir comment aider au développement, en temps de crises, mais pas seulement, d’une auto-organisation des habitants pour répondre à leurs besoins essentiels, comment faire un travail d’éducation populaire, comment garder l’espoir grâce à une organisation collective et couper court au découragement.

Déjà, pendant le confinement, en lien avec COVID’entraid, le collectif avait fait connaître les multiples expériences de solidarité du quotidien. Cette solidarité dans l’épreuve prend aujourd’hui une actualité nouvelle avec l’aggravation de la situation climatique, l’explosion de la pauvreté, l’accroissement des inégalités et la reprise de l’inflation. Les membres du réseau font état du découragement de nombreux habitants et militants de terrain face à une accumulation de problèmes qui semblent les dépasser. À l’occasion de nos séminaires 2022 et 2023, mais aussi dans l’année avec des rencontres (que nous souhaitons multiplier), ces questions ont été abordées par notre collectif. Elles nous ont montrés des expériences très diverses comme CHO3 (collectif des habitants autoorganisés du 3e arrondissement de Marseille) le Syndicat de la montagne limousine, les Localos, ALDA au Pays basque, Terrain d’entente autour de Saint-Étienne, la coordination Pas Sans Nous, etc. C’est aussi l’action commune des habitants sur des territoires comme celui du Clunisois.

Nous ressentons profondément la nécessité d’anticiper les effets des changements à venir en encourageant le développement d’actions communes, de groupes d’entraide et de collectifs locaux afin de nouer les liens et d’être préparés. Ceux qui développent en amont des relations de solidarité et de coopération sont bien mieux armés pour affronter les crises et les mutations porteuses d’inégalités.

C’est pourquoi nous entendons faire notre part avec la mutualisation des expériences porteuses d’alternatives et des collectifs d’habitants. Ce travail est essentiel et doit être poursuivi, en montrant davantage la portée politique, écologique et humaine des actions menées, et en mettant en évidence les méthodes et les outils qui permettent de les démultiplier ou simplement de s’en inspirer.

Nous avons la conviction que la période est décisive pour l’humanité. Ces myriades d’actions constituent une immense force pour faire vivre une humanité solidaire.

Nous invitons tous ceux et celles qui se sentent concernés par ce combat décisif, à nous rejoindre, car le collectif est comme une auberge espagnole : on y trouve ce qu’on y apporte. 

Dans cette lettre

Vie du réseau

Ce « Boulot de dingue » qui doit (vraiment) être reconnu

Le Secours catholique et Aequitaz ont publié mi-septembre leur rapport « Un boulot de dingue », soutenu par Changer de Cap et d’autres associations. Fruit de deux années de travail auprès de personnes exclues du marché de l’emploi, vivant dans la précarité et bien souvent stigmatisées, ce document de 50 pages met en lumière la valeur et le caractère essentiel des activités hors cadre de l’emploi : s’entraider dans la garde des enfants ou les démarches administratives, prendre soin des autres dans le bénévolat ou l’accompagnement d’une personne malade, jardiner et produire…

Objectif : faire — enfin ! — reconnaître les contributions essentielles à la société des personnes sans emploi.

Nous invitons chacun à prendre connaissance de ce rapport et à le relayer largement : il est téléchargeable ici.

PLFSS 2024 : amplifier la riposte pour une alternative

Convergence des services publics a initié une pétition à destination du Président de la République « Pour que le budget de la Sécurité sociale réponde en 2024 aux besoins de la population » lancée par 75 personnalités associatives, syndicales, politiques et intellectuelles et plus de 100 organisations et collectifs dont Changer de cap.

Cette pétition qui a déjà recueilli plus de 7000 signatures montre, face au projet gouvernemental qui affirme qu’il n’y a pas d’argent pour satisfaire les besoins dans chacune de ces branches, qu’un large accord existe sur des propositions alternatives dans le champs social, syndical et politique pour des mesures financières et politiques urgentes nécessaires à la Sécurité sociale.

Nous vous invitons à la lire et à renforcer ce mouvement en signant la pétition.

À Bordeaux, le festival Comme un grondement paresseux

Alors que le gouvernement prétend « mettre tout le monde au boulot », y compris pour 7 € de l’heure dans le cas des bénéficiaires du RSA et sans se poser la question du sens du travail, l’Université populaire de Bordeaux (UPB) nous propose un contre-courant salvateur avec son festival « Comme un grondement paresseux ».

« Une pause, une sieste, un temps d’arrêt dans la machine infernale du monde » : durant une semaine, du 30 septembre au 8 septembre, le festival programme conférences, arpentages, projections-débats et autres siest-in sur le thème de la paresse. Pourquoi travailler ? Comment ralentir ? Peut-on tout saboter ? La paresse serait-elle un rempart contre l’autoroute de la productivité ?

Pour tenter de répondre à ces questions — et bien d’autres — rendez-vous dans les événements (gratuits) du festival. Le programme se découvre sur le site de l’UPB 

Initiatives et expériences locales

café citoyen nomade chez Marguerite dans le Clunisois

Le bus citoyen du territoire clunisois

Cet été, des membres de Changer de Cap sont partis à la rencontre d’acteurs citoyens du Clunisois, à l’occasion des Rencontres 2023 du collectif. Ce fut notamment l’occasion de découvrir Marguerite, qui n’est autre qu’un café citoyen nomade au service des habitants du territoire. Ce projet porté par le foyer rural du Grand Secteur Clunisois aide à lutter contre l’isolement sur ce territoire très rural : le café citoyen est en réalité… un bus qui sillonne les communes pour y proposer des informations, des ateliers, des causeries, et beaucoup d’autres activités.

Découvrez cette initiative

En Dordogne, une librairie sauvée par la mobilisation citoyenne

Dans le village de Ribérac et au moment de leur départ en retraite, les propriétaires de l’unique librairie de la commune n’avaient pas trouvé de repreneurs. Des habitants se sont mobilisés pour racheter L’Arbre à Palabres et mener à bien en quelques mois ce projet un peu fou. Aujourd’hui, la librairie est toujours là, gérée collectivement. Et on vous raconte comment sur notre blog.

Au Pays basque, comment Alda a gagné contre Airbnb

Les syndicats d’habitants luttent contre les injustices du quotidien. Face à la crise du logement au Pays basque, Alda n’a pas hésité à livrer bataille contre la transformation de locations pérennes en locations de courtes durées sur les plateformes de type Airbnb. Le combat a nécessité une grande campagne de sensibilisation, quelques actions spectaculaires, l’engagement des élus pour mettre en place un règlement local, sans oublier le plan juridique. Au final, un mécanisme de compensation est rendu obligatoire dans 24 communes et près de 20 000 logements basques, principalement des petites surfaces habitées par des personnes précaires, des étudiants, etc., ont été sauvés de la location touristique.

Un article de notre blog vous raconte cette belle victoire.

Victoires et bonnes nouvelles

Réfugiés : quand on veut, on peut

Alors qu’à Lampedusa, Meloni cheffe du gouvernement italien, Salvini vice-président du Conseil des ministres, Marine Le Pen et sa nièce pour le RN et Renconquête, Darmanin, ministre de l’Intérieur français et Van der Leyen, présidente de la Commission européenne ont joué à qui proposera le pire pour les réfugiés, Marseille montre l’exemple.

Squatté depuis l’été 2021 et autogéré par une association de migrants, le Saint-Bazile fait l’objet, depuis le 1er juillet, d’une convention d’occupation temporaire avec son propriétaire, l’établissement public foncier Provence-Alpes-Côte d’Azur. La présence d’une quarantaine d’habitants y est légalisée pour neuf mois.

Et si l’hospitalité devenait un critère des politiques concernant les migrants ?

Au Brésil, une victoire historique des peuples autochtones contre l’agronégoce

Il y a encore des occasions de se réjouir, et c’est heureux ! Celle-ci nous vient du Brésil, où la Cour suprême a rayé d’un trait de plume la thèse du « cadre temporel ». Pour le lobby de l’agronégoce, il s’agissait ni plus ni moins que d’accaparer des terres des peuples indigènes en prétextant que les seules terres leur revenant de droit étaient celles qu’ils occupaient au moment de la promulgation de la constitution, en 1988. Mais si certains territoires n’étaient plus alors occupés par les autochtones, c’est qu’ils en avaient été expulsés.

Après deux ans de procès, une majorité de juges de la Cour suprême brésilienne a enterré le cadre temporel. 300 territoires devraient ainsi revenir de droit aux indigènes. Selon l’une des juges, « il s’agit de prendre soin de la dignité d’un peuple qui a été opprimé et décimé pendant cinq siècles ». Et par là même de la santé du poumon de la planète !

Luttes et mobilisations

Sauver les dauphins et les marsouins du golfe de Gascogne face à un réel risque d’extinction

Dans l’urgence, l’association environnementale Bloom lance une campagne et une alerte sur le risque d’extinction des dauphins. Si plus de 1000 s’échouent chaque année sur les côtes françaises, cela signifie qu’entre 5 000 et 10 000 meurent en mer de façon invisible, dont 90 % piégés par des filets de pêche dans le golfe de Gascogne. Le Conseil d’État s’était saisi, en mars, de la question, exigeant du gouvernement des mesures pour éviter l’extinction régionale des dauphins et des marsouins communs. Cela passerait par la fermeture des pêcheries à risque quatre mois dans l’année et l’équipement des chaluts en répulsifs acoustiques.

En réponse — fort tardive —, le gouvernement lance une pseudoconcertation sur un projet d’arrêté qui ne respecte pas ces recommandations.

Pour maintenir une diversité éditoriale dans l’édition

Tout le monde a constaté les effets de la concentration dans les médias. Dernier épisode en date, après sa purge à Canal+, Vincent Bolloré a remis Le Journal du dimanche, son dernier achat, entre les mains de l’extrême droite.

Un même mouvement s’opère dans l’édition. Les auteurs appellent à des mesures protectrices de leur intégrité comprenant notamment le droit de résilier leur contrat en cas de changement d’actionnaire et l’entrée de l’édition dans le cadre législatif limitant la concentration dans le secteur des médias.

Un article intéressant dans Télérama 

Un collectif de citoyens européens vivant au Burkina Faso mobilisé pour le vivre-ensemble

Des citoyens français, binationaux et d’autres nationalités européennes se rebiffent du côté de Ouagadougou. La raison de leur colère : les mesures « unilatérales et contreproductives » décidées par le gouvernement français, telles que le classement du Burkina Faso en zone rouge, la suspension de l’aide publique au développement et de la coopération (y compris culturelle) ou encore l’arrêt de la délivrance de visas aux ressortissants burkinabés, étudiants inclus.

Rassemblés en collectif, ils entendent défendre le vivre-ensemble et les liens d’amitié entre les peuples, qui « doivent être préservés, perdurer et se renforcer indépendamment des tensions diplomatiques ».

« Des familles binationales sont séparées, des artistes ne sont plus en mesure d’exercer leur métier, les échanges culturels sont suspendus, des médecins burkinabés ne peuvent partir se former en France, des étudiants et chercheurs qui pensaient pouvoir y poursuivre leurs études ou leur recherche, notamment après l’obtention de bourses, sont bloqués… », peut-on lire dans une lettre ouverte au gouvernement lancée par ce Collectif pour un mieux vivre ensemble au Burkina Faso le 19 septembre.

Deux liens de RFI pour aller plus loin : les étudiants du Mali, du Burkina Faso et du Niger privés de rentrée universitaire en France ici, et la suspension, par Paris, de toute coopération artistique .

Comprendre et s'informer

Liberté… de quoi ?

Ce n’est pas la première fois qu’une ou un journaliste français est « entendu » par la DGSI (Direction générale de la sécurité intérieure), mais c’est la dernière en date, soulignant une fois de plus la délicate application du droit à l’information versus la « violation du secret de la défense nationale » ou autre secret d’État. Ariane Lavrilleux a passé 39 heures en garde à vue et son domicile a été perquisitionné sans autre forme de procès les 19 et 20 septembre. Les services de renseignement lui reprochent des enquêtes sur les ventes d’armes françaises à l’étranger. L’une d’entre elles semble tout particulièrement déranger l’État français et pour cause : d’après Disclose et une enquête qui repose sur des centaines de documents classifiés, les informations de la mission Sirli des services de renseignements français ont été détournées par les autorités égyptiennes pour procéder à des bombardements contre des civils entre 2016 et 2018.

Soutenir Ariane Lavrilleux et Disclose, et plus largement la protection des sources, c’est défendre le droit à la diffusion d’informations d’intérêt public et de fait la démocratie. À notre petit niveau, nous relayons et vous invitons à lire l’enquête Les Mémos de la terreur.

Derrière l’intelligence artificielle, des petites mains surexploitées

Les machines générant de l’intelligence artificielle ne s’entrainent pas toutes seules. Comme le souligne un article de Basta !, ce sont des petites mains recrutées via des plateformes qui travaillent à la tâche, pour collecter, vérifier ou annoter toutes sortes de données (dont les vôtres), prêter leur voix, classer des vidéos par type de contenu, etc. Et ce pour une « rémunération » de quelques centimes par tâche. Ce microtravail, tel qu’il est aujourd’hui nommé, est répandu dans le monde entier avec une concurrence de fait entre chacun. Evidemment, les ressortissants des pays où le coût du travail est le moins cher sont en première ligne, Madagascar par exemple pour les contenus francophones, comme raconté dans un entretien réalisé par Le Vent se lève.

Sur le sujet, vous pouvez également écouter le podcast Imaginaires, dédié aux impacts de l’intelligence artificielle et l’entretien avec le chercheur Antonio Casilli sur « les travailleurs invisibilisés de l’IA ».

On en revient donc à la notion du travail et plus encore du travail précaire, tel que l’a très bien montré le documentaire « Invisibles, les travailleurs du clic » (France TV Slash).

Mais si la plus grande menace pesait sur les cols blancs ?

Risque de disparation du métier de comptable ? 71 % D’analyste financier ? 79 %… Un site, Will robots take my job, évalue ce risque pour bon nombre de professions. Essayez !